Menu
Libération

La corruption légalisée, le pot-de-vin disparaît

Elu en critiquant la prévarication, le Premier ministre hongrois s’est empressé de se tailler des lois sur mesure pour attribuer les marchés publics à sa guise.
par Dániel Bita
publié le 14 novembre 2016 à 21h36

En 2010, après avoir passé huit ans dans l’opposition, Viktor Orbán est triomphalement réélu par 53 % des électeurs et obtient la majorité des deux tiers au Parlement. Nombreuses sont les raisons qui poussent alors les Hongrois à balayer la gauche et sa coalition socialo-libérale. La première est qu’ils la jugent corrompue. Pour preuve, peu avant le scrutin, le directeur de la Régie des transports de Budapest reconnaît avoir donné un pot-de-vin de 15 millions de forints (environ 50 000 euros) au maire adjoint de la capitale dans une boîte d’emballage de téléphone Nokia. Reprise en boucle, l’affaire de la «boîte à Nokia» devient le symbole d’une gauche vénale. Après le scrutin, le dirigeant se rétracte mais le mal est fait.

Liasses. A peine entrée en fonction, la droite d'Orbán ouvre un autre dossier : des fonctionnaires du gouvernement de gauche sont soupçonnés d'avoir cédé au rabais des terrains de grande valeur, donc d'avoir porté préjudice à l'Etat. Ils ont été acquittés six ans plus tard, en 2016. Et Ferenc Gyurcsány, l'ex-Premier ministre accusé d'avoir commandité la transaction, n'a finalement pas été poursuivi. Le fait que quasiment aucune affaire de corruption n'ait eu de suites judiciaires peut aussi bien constituer une preuve de l'innocence des accusés qu'être la conséquence de la médiocrité du travail des autorités. Cependant, depuis que le Fidesz est au pouvoir, le mot «pot-de-vin» a pris un sens différent. Bien sûr, il illustre toujours une action malhonnête et immorale, mais on l'utilise de moins en moins. Car c'est devenu quasi obsolète.

Ils ont été remplacés par une méthode bien plus rentable qu’une boîte de téléphone (qui, après tout, ne peut contenir que quelques liasses), quoique moins visible aux yeux des électeurs : la corruption inscrite dans la loi. Elle concerne l’attribution des concessions de buralistes, la distribution des terres agricoles ou l’industrie des jeux. Il n’y a rien ou personne à poursuivre : chaque étape du processus de privatisation des biens d’Etat et d’octroi de marchés publics est détaillée par la loi.

«Famille». Selon Transparency International, les appels d'offres sont taillés sur mesure pour qu'une seule entreprise - celle choisie à l'avance par le gouvernement - puisse y répondre. Et de plus en plus de contrats publics sont attribués sans appel d'offres. Cette corruption a un nom : la captation d'Etat. A qui profite-t-elle ? A la «famille» et aux oligarques, dont la réussite spectaculaire est le symbole du nouveau régime. Face à ce vol légalisé, à ce pillage institutionnalisé, on ne peut s'empêcher de ressentir une certaine nostalgie pour les bons vieux pots-de-vin d'antan, qui tenaient encore dans un emballage de téléphone.