Menu
Libération
Tunisie

Sihem Bensedrine, militante contestée

La présidente de l’IVD, au parcours reconnu, se voit reprocher une gestion à poigne.
Sihem Bensedrine à Tunis le 14 novembre. (Photo AFP)
publié le 16 novembre 2016 à 19h46

Face à l’homme énervé qui la dépasse de plusieurs dizaines de centimètres, Sihem Bensedrine s’avance sans hésiter. Lundi, lors d’une conférence de presse de l’Instance vérité et dignité (IVD), des manifestants font irruption pour se plaindre de la lenteur des procédures. La présidente de l’institution fait face. Une scène qui résume celle qui, à 66 ans, reste une militante bagarreuse dans l’âme.

Proche dans sa jeunesse du mouvement de gauche des perspectivistes, Sihem Bensedrine devient journaliste et membre de nombreuses organisations des droits de l’homme dans les années 80, pour critiquer le régime de Bourguiba puis celui de Ben Ali. Pour la faire taire, le pouvoir lance une campagne contre elle, la décrivant comme une prostituée. Elle est emprisonnée sept semaines pour avoir dénoncé la corruption du clan Ben Ali. Autant de faits d’armes qui lui valent de nombreux prix à travers le monde, dont le prix Oxfam Novib/PEN (2005) ou le prix Alison Des Forges décerné par Human Rights Watch (2011).

Cassant

En 2014, son arrivée à la tête de l'IVD légitime et valide son parcours de militante. Mais elle révèle aussi l'aspect plus cassant de sa personnalité. Rapidement, de nombreux membres du conseil démissionnent ou sont exclus. En mai, sur un plateau télévisé, elle menace de partir quand elle voit surgir Zouhair Makhlouf, vice-président de l'IVD avec qui elle est en conflit, non sans l'avoir rabaissé verbalement. «J'ai commis une erreur, j'aurais dû garder mon sang-froid», admet-elle aujourd'hui. Mustapha Baazaoui, membre exclu de l'instance, évoque une «mainmise totale» de la présidente, qui déciderait de tout avec ses proches. «Elle a la majorité au sein du conseil mais elle provoque une forte polarisation qui nuit aux discussions, qui devraient être apaisées dans une institution comme celle-ci», critique-t-il.

Pour Lilia Bouguira, également «démissionnée» de l'IVD, la raison de ces tensions est claire : «Elle a le soutien d'Ennahdha.» L'intéressée renvoie l'argument politique à la volée avec effet cinglant : «Il y a une tentative d'infiltration par les nostalgiques de Ben Ali en manipulant certains membres…»

Alerte

La société civile soutient l'instance contre les attaques extérieures mais ne dédouane pas sa présidente. «Défendre l'IVD ne signifie pas donner un chèque en blanc à Sihem Bensedrine», explique ainsi Intissar Arfaoui, juriste à l'ONG I Watch.

Persuadée qu'elle marche dans le sens de l'histoire, Sihem Bensedrine ne porte que peu d'attention aux critiques : «Ma responsabilité, c'est d'établir la vérité et de comprendre le mécanisme de la dictature en Tunisie d'ici la fin de mon mandat [en 2017]. A ce moment-là, j'aurai des comptes à rendre aux Tunisiens. Personne ne va me demander si j'ai été injuste avec untel ou untel.» Mais elle n'oubliera pas. D'ailleurs, elle a créé une alerte Google à son nom pour recenser les cas d'insultes.