«Nettoyage ethnique.» John McKissick, directeur du Haut commissariat des Nations pour les réfugiés (UNHCR), en visite au Bangladesh, a clamé vendredi haut et fort la réalité des exactions que subit la minorité musulmane rohingya de la part de l'armée birmane. Et, de Dacca à Jakarta, des milliers de musulmans ont manifesté vendredi pour dénoncer ces actes.
Cette situation humanitaire, catastrophique depuis des années, a empiré début octobre quand un groupe armé a mené des attaques contre au moins trois postes frontières, près de Maungdaw, dans l’ouest du pays. L’armée affirme qu’il s’agissait de Rohingyas. Soutenues par la population, elle-même influencée par les discours haineux d’extrémistes bouddhistes, les forces militaires ont alors entamé une campagne de violente répression contre cette minorité musulmane.
Le régime autoritaire qui a fait des Rohingyas des apatrides en 1982 a fermé ses portes à la quasi-entièreté des ONG internationales et aux médias. Difficile, donc, d'obtenir des informations corroborées sur ce qui se passe réellement sur le terrain. La zone d'intervention militaire est elle-même fermée à toute aide humanitaire et au gouvernement civil. L'organisation Human Rights Watch a pu repérer, grâce à des images satellites, la destruction de nombreux villages dans l'état de Rakhine, frontalier avec le Bangladesh, où vivent la majorité des Rohingyas.
Le Bangladesh débordé
Depuis plusieurs années, les membres de cette minorité, parmi les plus persécutés au monde d'après les Nations unies, tentent de fuir le pays en se réfugiant pour la plupart au Bangladesh, dont la frontière est poreuse. Viols en réunion, tortures, meurtres et massacres: les Rohingyas qui ont franchi la frontière ont fait le récit des violences que leur font subir les soldats birmans dans l'ouest du pays. Selon le Conseil européen rohingya, une organisation militant pour les droits de cette minorité, les forces armées birmanes auraient, depuis début octobre, «brûlé plus de 2.500 maisons, tué au moins 400 personnes, brûlé des enfants vivants et violé plus de 200 femmes et jeunes filles». L'armée ne reconnaît que la mort de 86 personnes et revendique aussi des pertes humaines dans leurs rangs.
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Des dizaines de milliers de membres de la minorité musulmane vivent aujourd'hui au Bangladesh – au moins 32.000 selon l'UNHCR – parqués dans des camps réservés aux Rohingyas auxquels les ONG internationales peinent encore à accéder. Après l'afflux de dizaines de milliers de ressortissants musulmans fuyant les opérations policières birmanes, le gouvernement bangladais a renforcé les contrôles à la frontière. Dacca a demandé vendredi à son voisin de mettre en place des «mesures urgentes» pour faire cesser ces déplacements. Mercredi, la police bangladaise avait annoncé s'apprêter à renvoyer 70 Rohingyas de l'autre côté de la frontière.
En effet, «il est très difficile pour le gouvernement bangladais de déclarer ouverte sa frontière, car ceci pourrait encourager le gouvernement birman à continuer les atrocités et à pousser les Rohingyas dehors, jusqu’à atteindre son objectif final de nettoyage ethnique de la minorité musulmane de Birmanie», a expliqué John McKissick vendredi à la BBC.
L’échec d’Aung San Suu Kyi
En Birmanie, l'oppression étatique contre cette minorité n'est pas nouvelle. La loi sur la citoyenneté de 1982 a privé les Rohingyas de leur nationalité, ce qui rend beaucoup d'entre eux, notamment des enfants, apatrides. Dans son rapport 2015 sur la Birmanie, Human Rights Watch décrit : «Le recensement national effectué en mars et avril 2014 n'a pas permis aux Rohingyas de s'identifier comme tels et, selon les résultats publiés en septembre, 1,2 million de personnes dans l'Etat de Rakhine n'étaient pas comptabilisées dans le recensement. Le nombre de Rohingyas fuyant l'Etat de Rakhine par la route a considérablement augmenté en 2014, les estimations suggérant que 50 à 100 000 individus ont fui depuis début 2013.» A l'automne 2012, plus d'une centaine de personnes avaient été tuées et des dizaines de milliers déplacées lors de heurts violents entre Rohingyas et bouddhistes dans l'état de Rakhine.
Cette crise humanitaire fait se tourner les regards, une fois encore, vers Aung San Suu Kyi, conseillère d'Etat et ministre des Affaires étrangères, qui a promis le retour de la paix et la résolution de cette douloureuse question ethnico-religieuse. Sans succès. «Un groupe de travail censé mener une enquête sur les violations des droits de l'homme par l'armée birmane, dans l'ouest du pays, serait en train d'être formé, affirme Camille Cuisset, coordinatrice de l'association française Info Birmanie. Mais le plus urgent pour le gouvernement est de faire parvenir de l'aide humanitaire aux Rohingyas qui sont dans une situation de détresse.»
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