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Changement climatique

«L'Arctique est un des endroits du monde qui se réchauffe le plus vite»

Quand l'eau révèle le mondedossier
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Valérie Masson-Delmotte, paléoclimatologue française et membre du GIEC, détaille avec pédagogie pourquoi l'Arctique connaît une hausse sans précédent de ses températures.
Un ours polaire teste l'épaisseur de la glace, en Arctique, en 2015. (Photo Mario Hoppmann. AFP)
publié le 26 novembre 2016 à 14h49

La région Arctique aura connu cet automne des températures record et un recul sans précédent de la banquise, selon des données du Centre américain de données sur la glace et la neige (National Snow and Ice Data Centre) et de l’Institut météorologique danois de Copenhague (Danish Meteorological Institute in Copenhagen).

Valérie Masson Delmotte, paléoclimatologue et membre d'un groupe de travail du Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (Giec) détaille les mécanismes qui expliquent un tel bouleversement climatique à l'extrême Nord de la planète.

Quelle est l’ampleur de cette hausse des températures dans l’Arctique?

C’est un record. C’est exceptionnel d’atteindre une telle amplitude entre les températures moyennes au mois de novembre et celles enregistrées ce mois-ci. Pour ce qui est de la banquise, normalement, elle atteint son minimum de surface au mois de septembre. Puis elle s’étend et atteint un maximum vers le mois de mars. Cet automne, avec l’arrivée de la nuit polaire, la banquise a commencé à s’étendre, puis s’est quasiment arrêtée. Il y a même eu un petit épisode de recul en novembre, ce qui est rarissime. Selon les mesures satellites prises depuis 1979, il n’y a jamais eu de situation analogue.

Qu’est-ce qui explique de telles températures?

C’est une conséquence du recul de la banquise. Il faut imaginer la situation: vous avez un océan avec des températures autour de -2°C. Au-dessus, vous avez normalement de la banquise. Elle joue un rôle d’isolant et empêche l’océan d’aller réchauffer l’air qui, lui, est normalement très froid, autour de -25°C. Cet automne, comme il y avait moins de couverture de banquise, l’océan a pu transmettre de la chaleur à l’atmosphère qui a atteint une température de -5°C, au lieu de -25°C.

Pourquoi y a-t-il moins de banquise? Eh bien, parce qu’il y a des eaux de mer plus chaudes que d’habitude, qui ont plus de mal à congeler. Cela a provoqué davantage de transport d’air doux en provenance de nos latitudes. La banquise témoigne de l’état du climat et a un réel rôle d’amplificateur.

Est-ce une conséquence du changement climatique?

C’est un événement ponctuel mais il s’inscrit dans une plus longue tendance. Depuis 1950, on a observé un fort recul de l’étendue de la banquise en moyenne. Si on prend le mois de septembre, quand l’eau est évaporée, dans les années 1950, on avait 10 millions de km² de banquise, et aujourd’hui, on en a moins de 5 millions. La banquise a ainsi perdu plus de la moitié de sa surface à la fin de l’été, en une soixantaine d’année. Les années record ont été successivement 2005, 2007, 2012. 2016 est la deuxième année avec le moins de banquise, à la fin de l’été.

Peut-on parler de cercle vicieux pour expliquer ce phénomène?

Oui, tout à fait. Ce qui se passe c’est que l’activité humaine rejette des gaz à effet de serre dans l’atmosphère. Ceux-ci piègent de la chaleur. Cela entraîne un réchauffement de l’air, un réchauffement des océans, en surface et en profondeur, puis un recul de la banquise.

Cette diminution est un facteur amplificateur très fort pour plusieurs raisons: en hiver et en automne, on a donc l’effet d’isolant. En été, on a un effet de miroir. On remplace une surface brillante, qui joue comme un miroir par rapport au soleil, par l’océan non glacé qui va absorber l’énergie solaire et se réchauffer. Cela change aussi le cycle de l’eau. Ce n’est pas forcément un phénomène qui va s’emballer d’un coup, mais il est extrêmement sérieux. Le réchauffement de la région arctique est en moyenne deux à trois fois plus important que la moyenne planétaire. C’est un des endroits du monde qui se réchauffe le plus vite.

Cette non-reformation de la glace, cela a des conséquences sur d’autres régions du monde?

On n’a pas toutes les réponses. La banquise joue un rôle important pour les courants marins profonds. Quand l’océan congèle, la glace qui est formée contient un peu moins de sel que l’eau de mer. Ces eaux très salées sont très denses, et ont donc tendance à plonger. Elles jouent un rôle important dans une sorte de tapis roulant de circulation océanique.

Pour l’atmosphère, on ne sait pas vraiment dans quelle mesure le réchauffement de l’Arctique et de la banquise va jouer sur les vents et leur circulation à nos latitudes. Il existe un débat dans la communauté scientifique à ce sujet. Certains le décrivent comme pouvant engendrer plus de méandres dans le jet-stream, ce grand courant atmosphérique qui fait le tour de notre hémisphère. Cela provoquerait plus de vagues de froid et de chaud. Il y a quelques études américaines dans ce sens. Les travaux de mes collègues français ne sont pas convergents.

Etes-vous inquiète de la volonté affichée par l’administration américaine de retirer des fonds à la Nasa sur l’étude du climat?

C’est un objet de préoccupations très fortes. Avec mon groupe de travail au Giec, nous allons faire plusieurs rapports sur l’état des connaissances scientifiques vis-à-vis du fonctionnement du climat. Pour cela, les réseaux d’observation sont essentiels. Cela permet de suivre l’évolution des températures, des conditions atmosphériques, l’étendue de la banquise dans des zones très difficiles d’accès, l’état des glaces et le niveau des mers. Sur tous ces sujets, la Nasa joue un rôle extrêmement important.

Pour en savoir plus: Un rapport d'une dizaine d'organisations internationales, publié vendredi par le Conseil arctique, développe les changements que connaît la région arctique, son environnement et les populations qui y vivent, sous l'effet du changement climatique, et notamment de la fonte des glaces.