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TRIBUNE

Romain Goupil : «Que cet aveuglement était beau»

Le réalisateur regrette son engagement et son émerveillement passé pour le Cuba de Castro.
Le reflet d’une l’image de Fidel Castro dans un quartier ouvrier de La Havane. (Photo Paolo Pellegrin. Magnum)
par Romain Goupil, Cinéaste
publié le 27 novembre 2016 à 19h46

«Il y a peu, à l'occasion de l'anniversaire de la Révolution culturelle en Chine, je me moquais méchamment de tous ceux qui, en France, avaient soutenu d'un voyage, d'un article, d'une manifestation ou de journaux, l'imbécillité et la folie meurtrière des gardes rouges de 1966. Et me voilà, m'interrogeant sur nos enthousiasmes révolutionnaires de cette époque. Je scandais le mot d'ordre de Che Guevara : «Créons un, deux, trois, de nombreux Vietnam.» Nous défilions à Berlin en 1967 : «Ho Ho Ho Chi Minh… Che Che Guevara.» Que j'étais enthousiaste, sûr de tenir enfin l'exemple de la révolution à accomplir. Castro était notre héros, pour nous jeunes lycéens, le Robin des bois des damnés de la Terre. Il montrait l'exemple, il avait conquis le pouvoir les armes à la main et fait triompher la Révolution. Que m'importait la démocratie, il s'agissait du peuple en armes, de sa lutte victorieuse, des discours enflammés pour que tous les peuples d'Amérique latine se soulèvent contre l'impérialisme américain. Mai 68 n'était qu'une répétition. Nous voulions l'insurrection générale. L'extension de la lutte armée des Tupamaros au maquis des Philippines, du MIR chilien aux Montoneros… 1969, nous avions hissé une banderole en travers du boulevard Saint-Michel en l'honneur du Che.

«Comme cette époque de certitude et d’insouciance était belle. Que c’était confortable de savoir où étaient les bons (le Che), les méchants (Nixon) et les traîtres (les Soviétiques). Ivresse de la justesse. Sourds aux pelotons d’exécution, à la confiscation de la révolte par le parti unique. Que cet aveuglement était beau. Quelle incroyable envie de ne rien savoir, mais uniquement de croire. «Cuba si» ! Fidel, le Che et les barbudos étaient les défenseurs des pauvres et des opprimés. Ils montraient le chemin aux peuples enchaînés et comment se libérer par la force des armes. Nous étions, j’étais à leurs côtés. On vendait les journaux à l’effigie du Che. Nous y croyions, nous refusions d’entendre les opposants, les homosexuels, les poètes, les écrivains, les démocrates, les mères des fusillés, les familles des emprisonnés, les premiers compañeros dissidents, Huber Matos et Carlos Franqui…

«Et dire que je me moquais de ces crétins de prochinois vantant les immenses avancées de la Révolution culturelle. Et je n’écoutais rien de ce qui ressemblait à la mise en place d’un goulag tropical. Enthousiasme. Romantisme. Approbation. Admiration. Encouragements… On ne voulait pas voir le KGB. Nous étions pour le camp socialiste. Nous excusions les… «dérapages».

«Puis de lectures en discussions, d’articles en témoignages. D’interrogations sur le soutien de Castro à l’invasion soviétique de la Tchécoslovaquie. Des révélations des opposants sur la nature des services secrets cubains à la solde des kagibistes. De la dérive du Che essayant d’imposer par les armes une «révolution» de l’extérieur. Des trahisons répétées du régime cubain aux mouvements de révolte qu’il ne contrôlait pas ou peu. Des dérives planificatrices en consignes totalitaires pour créer un homme nouveau. D’un fonctionnement de clique, de clan. Des assassinats du premier cercle. Du culte de la personnalité pour le «Líder máximo». Des discours inaudibles, interminables et stupides. D’un vieillard s’accrochant au pouvoir, torturant les opposants pendant que le peuple tentait de s’enfuir sur des bouées avec des bouts de bois pour ramer.

Les opposants ou ceux qui étaient dénoncés comme de possibles «opposants» croupissaient en prison. Régime de délation, de peur, de prébende et de corruption pour une aristocratie rouge, une dynastie à la Corée du Nord, qui se partage privilèges et luxe du trafic en dollars. Folie du pouvoir absolu, mensonges à l’aide de discours anti-impérialistes qui protègent une caste d’apparatchiks sanglants.

«En mars 2003, le régime castriste décide d’une immense rafle contre des journalistes, des intellectuels, des poètes, des profs… 78 dissidents sont emprisonnés. Raúl Rivero, fondateur de l’agence Cuba Press est condamné à vingt ans de prison. Nous allons protester devant l’ambassade de Cuba, s’ensuit une terrible bagarre avec les nervis de la sécurité de l’ambassade qui, avec matraques, marteaux et battes de base-ball, poursuivent Zoé Valdés, Eduardo Manet, Pascal Bruckner, désignés par l’ambassadeur.

«Nous publions une tribune, «Cuba vaste prison», avec André Glucksmann, Yves Simon, Marek Halter, participons à un immense meeting de soutien à Raúl Rivero au théâtre du Rond-Point le 29 septembre 2003. Catherine Deneuve ouvre la soirée en lisant un extrait d'un discours prometteur de Fidel Castro prononcé en janvier 1959 où il déclarait : «Le temps est venu pour les fusils de s'agenouiller devant l'opinion publique.» «Plus de quarante ans ont passé et le peuple est toujours agenouillé devant les fusils», enchaîne Jorge Semprún. Cuba si ! Castro no ! Puis il dénonce «les occultations de la vérité restées trop longtemps l'apanage de la gauche».

«En France, nous avons longtemps considéré Castro comme un «bon dictateur». J’ai été con de l’avoir soutenu à l’époque, mais ceux qui le pleurent aujourd’hui sont encore mille fois plus cons.»