Menu
Libération
The Americans S02E01

Arie Kapteyn : «Comme notre sondage est le seul qui a toujours donné l’avantage à Trump, maintenant on nous prend pour des génies»

Jusqu'à la fin de l'année, «Libération» interroge un acteur de la société américaine, post-élection présidentielle. Aujourd'hui, Arie Kapteyn, auteur du seul sondage qui donnait Trump gagnant.

Partisan de Donald Trump dans le New Hampshire et son réservoir de 4 grands électeurs. Hillary Clinton les a obtenus. (Photo Rick Wilking. Reuters)
Publié le 01/12/2016 à 12h09

Arie Kapteyn (photo DR), professeur d’économie à l’University of Southern California (Los Angeles), est l’un des trois experts derrière le sondage national USC Dornsife-Los Angeles Times pour l’élection présidentielle américaine, le seul à avoir souvent donné Donald Trump gagnant, à contre-courant de nombreuses enquêtes nationales. 

Quelle a été votre réaction à cette élection ?

Avant le scrutin, les gens nous ont attaqués, nous ont traités de fous. Après l'élection, ils se sont dit que nous savions quelque chose que personne d'autre ne savait. Mais les deux attitudes sont mauvaises. En fait, les gens ne voulaient pas croire aux résultats qui transparaissaient, ils avaient l'impression d'être mieux informés que les chiffres. En réalité, nous n'avons pas été si bons sur le vote populaire [Hillary Clinton a plus de 2 millions de voix d'avance sur Trump, ndlr], mais comme notre sondage est le seul qui a toujours donné l'avantage à Trump, maintenant on nous prend pour des génies.

Ce qui est certain c'est qu'il y a deux Amériques, voire plus. Les gens vivent dans des environnements très différents, entourés essentiellement de gens aux mêmes affinités politiques. Les démocrates se parlent entre eux, les républicains aussi, mais chaque groupe ne sait pas ce que l'autre fait. Et c'est ce que nous sommes en train de découvrir.

Qu'est-ce qui a été perçu correctement par le sondage ?

Deux choses que les autres sondages n'ont pas vu passer. Les abstentionnistes traditionnels sont sortis cette fois et ont massivement voté pour Trump. Et ceux qui avaient décidé de voter pour lui n'osaient pas toujours le dire aux autres sondeurs. Ces deux tendances combinées ont fait que nos résultats étaient différents de tous les autres.

S'il existe un vote dissimulé de ce type, est-il possible d'obtenir des résultats exacts par téléphone ?

C'est un vrai problème. Un sondage par répondeur automatique peut être plus efficace car le répondant ne se soucie pas de ce que le robot au bout du fil va penser de son opinion. Mais d'un autre côté, il y a moins de chance que les personnes répondent si c'est un robot qui les appelle. Un groupe dans le sud des Etats-Unis a eu la bonne idée de demander : «Pour qui pensez-vous que vos amis vont voter ?» Et ils ont découvert que c'était un moyen pour découvrir indirectement les intentions de vote du répondant. Parce que les gens fréquentent des gens qui pensent comme eux. Mais de manière générale, il vaut mieux faire des sondages anonymes.

Quelles leçons avez-vous tirées pour 2020 ?

Notre échantillon sera plus important la prochaine fois, et nous devrons revoir sa composition. Nous nous sommes concentrés sur les zones rurales et peut-être que les zones urbaines sont sous-représentées. Nous n'avions pas assez de répondants de New York par exemple, nous avons donc sous-estimé le soutien de Clinton.

Quelle leçon les médias doivent-ils retenir de leur dépendance aux sondages ?

Quelles qu'elles soient, on dépendra toujours des sondages dans quatre ans. On peut espérer que les médias seront plus prudents dans leurs interprétations. Le New York Times était très optimiste quant à la victoire de Clinton, ils étaient presque sûrs à 100% qu'elle allait gagner. Il faut mettre l'accent sur les incertitudes. Nous avons tendance à penser que si les chances sont de 55-45, c'est le candidat qui a 55 qui va gagner. Mais ce n'est pas vrai.