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Libération
à la barre

L'ex-chef de la junte malienne jugé dans l'affaire du charnier des «bérets rouges»

Le procès d'Amadou Haya Sanogo, qui avait renversé le président Amadou Toumani Touré en 2012, s'est ouvert mercredi à Sikasso, près de Bamako. Il est accusé d'avoir fait assassiner des soldats loyaux à l'ancien chef d'Etat.

Amadou Sanogo (au centre), à l'ouverture de son procès à Sikasso, au Mali, le 30 novembre. Il comparaît pour «enlèvement et assassinat, complicité d'enlèvement et d'assassinat» de parachutistes, dont les corps ont été retrouvés dans un charnier en décembre 2013. (Photo AFP)
Publié le 01/12/2016 à 16h07

Il a été le chef de l'éphémère «République de Kati», comme l'avait surnommé l'actuel chef de l'Etat malien, Ibrahim Boubakar Keïta, dit «IBK». En menant le coup d'Etat du 21 mars 2012 qui renversa le président Amadou Toumani Touré, le capitaine Amadou Haya Sanogo, jusque-là parfaitement inconnu, accédait soudain à la lumière. Jusqu'à l'été 2013, il tira les ficelles du gouvernement malien depuis son fief de Kati, ville-garnison située à une vingtaine de kilomètres de Bamako. Puis, le capitaine céda la place au président élu IBK, qui le nomma général. Cela fait maintenant trois ans, et l'histoire du chef de la junte aurait pu s'arrêter là. Pourtant, ce mercredi, le militaire malien était à nouveau sous les projecteurs, à l'occasion de l'ouverture de son procès pour «enlèvements» et «assassinats».

L'affaire est suivie avec passion au Mali. Plus d'un millier de personnes sont attendues pour assister au procès, délocalisé à Sikasso, à 300 kilomètres de Bamako. La salle d'audience, jugée trop petite, a été transférée dans un vaste hall flanqué d'un immense drapeau malien. Amadou Haya Sanogo, 43 ans, en costume beige, amaigri, s'est présenté à la barre comme «originaire de Ségou et ancien chef d'Etat du Mali». Techniquement, l'officier est resté à la tête du pays pendant vingt-et-un jours, avant de rendre le pouvoir aux civils dans le cadre d'une médiation menée par les pays voisins. Un geste symbolique : depuis le camp de Kati, il a continué à régner sur les institutions maliennes.

Bérets rouges contre Bérets verts

Quel a été son rôle exact, dans la répression du contre-coup d'Etat du 30 avril 2012 ? Ce jour-là, les hommes du 33e régiment des commandos parachutistes, les bérets rouges, restés fidèles au président Amadou Toumani Touré (ATT), tentent de renverser la junte. A leur tête, le colonel Abdina Guindo, homme de confiance d'ATT. Des affrontements éclatent dans plusieurs endroits stratégiques de la capitale. Rapidement, les bérets verts – les soldats de Kati, au service de Sanogo – prennent le dessus et arrêtent les mutins. Le 1er mai, les parachutistes rebelles sont exposés au journal de 20 heures de la télévision nationale. Dans la nuit du lendemain, 21 bérets rouges sont poussés dans des camions militaires et transportés à Diago, tout près de Kati, le QG du capitaine Sanogo. Personne ne les reverra vivants.

Les familles des disparus, épaulés par la Fédération internationale des droits de l'homme et l'Association malienne des droits de l'homme, veulent connaître la vérité, et demandent justice : le 7 mai 2012, une information judiciaire est ouverte pour «enlèvements», conduite par le juge d'instruction Yaya Karambé. En dépit d'un climat politique orageux, le magistrat mène son enquête jusqu'au bout. Le 27 novembre 2013, Sanogo, devenu entre-temps général, est arrêté et placé en résidence surveillée. Une semaine plus tard, un charnier est découvert à Diago. Vingt-et-un corps sont exhumés. Les tests ADN confirment qu'il s'agit des bérets rouges disparus le 2 mai 2012 : les faits sont rapidement requalifiés en «assassinats».

Acclamé par une partie du public

«Vous n'êtes pas ici en tant que général. Dans l'arrêt de renvoi, vous êtes un citoyen malien et vous avez commis des crimes», a lancé le procureur général à Amadou Haya Sanogo, mercredi. L'homme est jugé aux côtés de 16 co-accusés. Il a été acclamé par une partie du public lors de son passage à la barre. «Nous ne sommes pas dans une salle de spectacles. Si une scène pareille se reproduit, je viderai immédiatement la salle», a mis en garde le juge. Dès le premier jour, les avocats des militaires ont obtenu une suspension de l'audience pendant vingt-quatre heures pour «échanger avec leurs clients afin de mieux préparer leur défense». Le procès doit rependre vendredi.