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Libération

«Pizzagate» : un complot anti-Clinton se termine en coup de feu

publié le 6 décembre 2016 à 19h16

Dimanche, Edgar M. Welch, père de famille de 28 ans vivant en Caroline du Nord, a pris son fusil d'assaut et fait six heures de route pour se rendre à Comet Ping Pong, une pizzeria chic de Washington. Sur place, l'homme met en joue un employé, qui s'enfuit, puis tire un coup de feu dans le bâtiment. Selon le rapport de la police révélé mardi par le New York Times, il s'est rendu après avoir fouillé le restaurant. Venu «enquêter» sur ce que le Web complotiste a baptisé le «Pizzagate», Welch n'a pas trouvé les enfants esclaves sexuels qu'il comptait délivrer…

«Fake news». Car les partisans dudit Pizzagate sont persuadés que Comet Ping Pong est le QG d'un vaste réseau pédophile sataniste fomenté par… le Parti démocrate, et dont le cerveau serait John Podesta, le directeur de campagne de Hillary Clinton. Illustration du pouvoir de nuisance des «fake news», ces histoires sans fondement montées en épingle sur les sites conspirationnistes, le fait divers est à la une partout aux Etats-Unis.

Cette théorie du complot émerge peu avant la présidentielle. Elle partirait du tweet d'un suprémaciste blanc évoquant une enquête sur les mails d'Anthony Weiner, le mari de Huma Abedin, la plus proche conseillère de Clinton. Ces derniers démontreraient «l'existence d'un réseau pédophile» dont la candidate démocrate «serait le centre». Si les mails de Clinton stockés sur l'ordinateur de Weiner faisaient bien l'objet d'une enquête du FBI, il n'a jamais été question de trafic d'enfants.

Sur les forums de 4chan, chaudron dans lequel se cuisine le pire du Web, on épluche les mails hackés de John Podesta, divulgués par WikiLeaks en octobre, pour trouver des traces de ce réseau pédophile. Un échange entre Podesta et James Alefantis, le propriétaire du Comet et un influent entrepreneur prodémocrate, évoque une soirée de levée de fonds. Les trolls trumpistes s’imaginent alors que le mot «pizza» est un code pour «pédophilie».

«Elucubrations». La rumeur grossit sur Reddit grâce aux dizaines de milliers de membres de l'«Alt-Right», mouvance d'ultradroite avide d'intox. En fouillant les comptes Instagram liés au restaurant, ils trouvent des «preuves». Une enfant jouant avec du scotch sur une table devient une victime ligotée, le logo du restaurant un symbole digne du Da Vinci Code. Elucubrations reprises par les sites conspirationnistes, à l'instar d'Infowars, dont Donald Trump relaie régulièrement les fake news.

Au bout de quelques jours, des manifestants se pressent devant la pizzeria de James Alefantis. Malgré des menaces de mort, ce dernier tente de les rassurer. Peine perdue : «Ils ignorent les faits basiques», se lamente-t-il. Les viols auraient lieu dans des tunnels partant d'une cave, alors que la pizzeria n'a pas de sous-sol. Pour les complotistes, le fait que le patronyme James Alefantis évoque vaguement en français «j'aime les enfants» est irréfutable.

Les «désintox», de la BBC au New York Times, les confortent : si la presse mainstream cherche à faire cesser la rumeur, c'est qu'elle est vraie. Ainsi, le soir de l'arrestation de Welch, Michael Flynn Jr., le fils du futur conseiller à la sécurité nationale à la Maison Blanche, tweete : «Jusqu'à ce que le Pizzagate soit infirmé, ça reste une info. La gauche semble oublier les mails de Podesta et les nombreuses "coïncidences" qui s'y trouvent.»

Lundi, Michael Flynn Jr. relaie une nouvelle théorie : Welch est un acteur (il existe un CV en ligne à ce nom pour un rôle de figurant dans une série B). C'est donc qu'il s'agit d'une mise en scène pour discréditer le Pizzagate, une nouvelle manipulation des élites. Sur le Web, les fake news ne meurent jamais.