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Libération
Récit

A Alep : «En attendant, je continue de soigner»

Les habitants des quartiers d’Alep-Est témoignent sous les bombardements.
Des blessés dans un hôpital de la partie Est d'Alep le 18 novembre. (Photo Thaer Mohammed. AFP)
publié le 7 décembre 2016 à 20h36

Les derniers quartiers d’Alep-Est qui sont encore aux mains des rebelles continuent d’endurer les bombardements aériens et ceux de l’artillerie des forces du régime. Sous ce déluge de tirs, des dizaines de milliers de civils tentent de survivre. A leurs côtés, quelques médecins, des secouristes ou des activistes.

«Perdue»

Farida est médecin. Elle a 37 ans et habite avec son mari et sa fille dans un des derniers quartiers d'Alep-Est encore sous contrôle de la rébellion. Elle continue de travailler dans un petit hôpital réaménagé. Un endroit dont elle préfère ne pas révéler l'emplacement précis. «Nos quartiers sont en ce moment bombardés par l'aviation et l'artillerie. Des milliers d'habitants, qui ont fui ces derniers jours les zones prises par le régime, se sont réfugiés par ici. Mais les bombardements les suivent. En ce moment sur les quartiers de Saif Al-Dawla et de Zabdyhe, de Fardo s [quartier commerçant animé, ndlr], ils sont à 2 kilomètres de chez moi. Lundi, quand on m'a dit que l'armée gouvernementale et ses alliés s'approchaient de ma maison, je me suis demandé ce que je ferais lorsqu'ils arriveront. Partir vers une autre région ? Fuir ces monstres ? Me battre jusqu'à la mort ? Ou bien jeter du riz sur les chars en souriant à ces monstres ? Aujourd'hui encore je suis complètement perdue. En attendant, je continue. Je continue de travailler et d'essayer de soigner quelques blessés ou malades avec le peu de matériel médical qui nous reste.»

Yasser H. est un jeune secouriste. Il travaillait dans un hôpital proche de chez lui, dans le quartier de Maadi. Et puis les forces du régime ont attaqué. Dans une succession de messages sur Whatsapp, mercredi matin, il décrit : «On meurt par dizaines, je vois des enfants tués devant moi, raconte-t-il. Je ne sais pas où est ma famille, je les ai laissés dans notre rue et le régime est désormais en train de l'occuper. Ils disent qu'il ont pris le quartier.» Et Yasser de poursuivre : «Mes voisins ont été tués, ils viennent d'être amenés ici à l'hôpital. Je n'ai pas pu demander de nouvelles de ma femme et de mes enfants. Et maintenant les communications Internet sont coupées. Impossible de savoir ce qu'ils sont devenus.»

Raidie 

C'est une vidéo prise par un jeune activiste d'Alep et elle circule sur les réseaux sociaux. Elle résume «l'histoire d'Alep paralysé qui cherche la vie et trouve la mort», commente un militant en la reprenant sur sa page Facebook. Les images montrent Abou Mohamad dans des rues dévastées. L'homme pousse un fauteuil roulant dans lequel est installée sa femme. Pour la sauver, Abou Mohamad est en quête d'un médecin ou d'un médicament. Les images qui suivent montrent le même homme. Mais il ne pousse plus le fauteuil. A l'arrêt, il réalise que le corps de sa femme s'est raidi. Au milieu des décombres du quartier de Chaar, il pleure la mort de son épouse. Le couple avait déjà perdu ses sept enfants dans un raid aérien. Le quartier vient de tomber aux mains des forces de Bachar al-Assad. Abou Mohamad a perdu le dernier être avec lequel il partageait sa douleur.

Abu Jaafar est responsable du centre de médecine légale d'Alep-Est : «Voilà plus d'une semaine que les corps enroulés dans les linceuls s'alignent devant moi en attendant d'être enterrés en sécurité. Mais entre les bombardements et l'espace qui rétrécit autour de nous, pas moyen de les transporter jusqu'à leur dernière demeure. Je n'ose même pas insister auprès des jeunes de la défense civile pour qu'ils fassent le nécessaire, tant ils sont débordés. Mais en même temps, on ne peut pas laisser pourrir ces corps ici !»

En écho,un groupe de jeunes se présentant comme des «Civils libres d'Alep» lance cet appel sur les réseaux sociaux : «On n'est pas des terroristes, mais des civils. On vit ici parce que nous sommes nés ici, qu'on y a grandi. Nous voudrions partir en sécurité loin de l'enfer de cette guerre !»