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Libération

Israël : dans les colonies de Cisjordanie, la spoliation s’accélère

Après dix ans de procédure, des Palestiniens expulsés par des colons à Amona avaient obtenu gain de cause. Mais le Parlement israélien a approuvé mercredi soir en première lecture un projet controversé sur les colonies.
publié le 7 décembre 2016 à 21h26

Imaginons que des gens s’installent sur un terrain ne leur appartenant pas en exhibant de faux titres de propriété, qu’ils y construisent des maisons et qu’ils refusent de s’en aller malgré une décision de la Cour suprême les enjoignant de le faire. Tout ça, avec l’accord d’un gouvernement qui déploie une énergie folle pour les aider à contourner la décision judiciaire. Incroyable ? Pas en Israël. Du moins, pas dans les territoires occupés par ce pays puisque c’est bien en Cisjordanie, sur des terres privées appartenant à des villageois palestiniens de Silwad, de Taybeh et d’Ein Yabroud, qu’a été créée en 1995 la petite colonie d’Amona, comptant aujourd’hui une quarantaine de familles (200 personnes).

Soutenus par l’ONG israélienne de défense des droits de l’homme Yesh Din, une dizaine de propriétaires palestiniens qui réclamaient la restitution de leur patrimoine ont, au terme de dix ans de procédure, obtenu gain de cause devant la justice de l’Etat hébreu.

Dépouillés. Mais les colons n'en ont cure : ils refusent d'appliquer l'arrêt de la Cour suprême leur ordonnant d'évacuer avant le 25 décembre. C'est pour contourner cet arrêt que le parti d'extrême droite «Foyer juif», ainsi que la plupart des députés du Likoud (le parti du Premier ministre, Benyamin Nétanyahou) promeuvent un projet de «loi de régularisation» permettant de «blanchir» la spoliation des terres privées palestiniennes par les colons. Le texte, approuvé mercredi soir en première lecture à la Knesset, prévoit en substance que les Palestiniens spoliés ne pourront plus s'adresser à la justice israélienne pour récupérer les terres dont ils ont été dépouillés. Celles-ci seront considérées comme expropriées, moyennant une indemnité pouvant atteindre 125 % de la valeur du bien ou un lopin équivalent. Certes, la nouvelle loi ne «blanchira» pas Amona puisque le cas de cette colonie a déjà été jugé et que la régularisation ne peut être rétroactive. En revanche, elle protégera les nombreuses autres colonies de Cisjordanie, ainsi que des parties de colonies érigées dans les mêmes circonstances. Soit 55 «avant-postes» (des petites colonies créées sans l'accord de l'Etat hébreu) et 4 000 logements.

Paradoxalement, Nétanyahou n'est pas très favorable à la «loi de régularisation». Parce qu'elle lui a été extorquée par le Foyer juif et par la frange la plus extrémiste des députés du Likoud, mais également parce que le procureur général de l'Etat ainsi que le conseiller juridique de la Knesset estiment que ce texte est «contraire au droit». Donc qu'il risque d'être retoqué par la Cour suprême. En outre, Nétanyahou redoute les suites diplomatiques et les condamnations internationales que le vote de la nouvelle loi pourrait entraîner. Il n'exclut pas non plus que l'Autorité palestinienne saisisse la Cour pénale internationale et que lui et ses ministres soient contraints de lui rendre des comptes.

Bobard. Mais les colons et le Foyer juif n'en ont cure. Pour l'heure, ils jubilent. «Certes, notre victoire n'est pas complète puisque nos frères d'Amona devront s'installer ailleurs mais, dans l'ensemble, cette loi de régularisation change le visage de la colonisation tel que nous le connaissions depuis cinquante ans, fanfaronne Bezalel Smotrich, un colon de Beit El qui est également le député le plus actif du Foyer juif. Ce texte est important parce qu'il supprime des obstacles au retour du peuple juif sur la terre que Dieu lui a donnée. En fait, il pave la voie à l'annexion d'une partie de la Judée-Samarie [la Cisjordanie, occupée, ndlr]. C'est notre prochaine étape.» Contacté par téléphone, Smotrich semble en tout cas se moquer des réactions internationales à cette«régularisation». «Ce n'est pas le sujet», tranche-t-il. Quant au fait que des Palestiniens soient spoliés, Smotrich affirme qu'il s'agit d'un bobard : «Ces terres n'ont jamais été occupées par personne, qu'est-ce qui prouve que ces gens-là en sont propriétaires ? Tout ça, c'est bidon. Il s'agit d'une fausse affaire montée en épingle par des ONG gauchistes afin de nous discréditer.»

De leur côté, les colons d'Amona, appuyés par des centaines de sympathisants d'extrême droite venus de tous les coins d'Israël, promettent d'accueillir «comme il se doit» les 3 000 policiers, garde-frontières et agents du Shabak (Sûreté générale) chargés de les déloger avant la fin du mois.