Il est 16 h 10 quand une immense clameur fait résonner les larges artères de l'île de Yeouido. «Le peuple a gagné !» entend-on à l'unisson dans ce quartier d'affaires de Séoul. C'est là, autour de l'Assemblée nationale, qu'une foule de contestataires anti-Park Geun-hye s'est massée. Après six semaines d'un mouvement populaire inédit, le résultat du scrutin de la motion de destitution est tombé. Parmi les 299 députés présents dans l'hémicycle, 234 ont voté pour et 56 contre, assez pour approuver le texte demandant la révocation de la cheffe de l'Etat. La jubilation est à son comble, des bannières réclamant l'impeachment de Park et même son emprisonnement sont brandies.
Une explosion de joie qui cache l'amertume et le dégoût des citoyens pour ceux qui les gouvernent. D'autant que Park Geun-hye ne montre pour l'instant aucun signe d'une éventuelle démission. «C'est le moment de faire toute la lumière sur cette affaire et de faire payer Park et son entourage pour leurs actes», lâche Yoon, un poing rageur tendu en l'air. Il faut dire que, depuis le 24 octobre et la découverte d'une tablette numérique contenant des documents confidentiels de la présidence, les Sud-Coréens tombent de Charybde en Scylla. Cet appareil appartenant à Choi Soon-sil, la confidente occulte de Park Geun-hye, annonçait les prémices du «Choi Gate». Accusée d'ingérence dans les affaires de l'Etat et de détournement de fonds, celle-ci a inexorablement entraîné son amie de quarante ans dans sa chute. Le pays allait ensuite connaître son plus vaste scandale politico-financier.
Malgré un résultat prévisible, cette motion de destitution redessine violemment le paysage politique et laisse place à de nombreuses zones d'ombre. Le Premier ministre, Hwang Kyo-ahn, qui remplira le rôle de chef de l'Etat, se veut rassurant : «Les affaires de l'Etat étaient pratiquement au point mort ces derniers mois. Avec l'adoption de la motion de destitution, la confusion doit prendre fin.» Les répercussions pourraient aussi être militaires : le ministre de la Défense, Han Min-koo, vient d'ordonner à l'armée de renforcer sa vigilance contre de possibles provocations de son turbulent voisin nord-coréen. Pour Moon Jae-in, ancien chef du Parti démocratique, et présidentiable, «la révocation de Park Geun-hye n'est que le commencement de la normalisation du pays. Park doit quitter ses fonctions et accepter la voix du peuple et du Parlement».Cependant, la situation est toujours chaotique. Park Geun-hye reste en place et déclare s'en tenir à la décision de la Cour constitutionnelle, qui examinera la légitimité de la motion dans un délai maximum de six mois. Les partis devraient, quant à eux, accélérer leurs manœuvres pour tourner ce tumulte à leur avantage.