«J'étais en train de faire le marché juste à côté quand j'ai entendu la déflagration. Au début, j'ai cru que c'était un tremblement de terre. Puis j'ai entendu des cris. Il y avait de la fumée qui sortait de l'église. J'ai vu des gens courir et je me suis rendu compte qu'il s'était passé quelque chose de grave», raconte Saïda, bouleversée, debout devant l'église Saint-Pierre-et-Saint-Paul, dans le centre du Caire. Drapée dans une longue tunique noire, affichant la croix copte, elle regarde stupéfaite l'un des clochers. A ses pieds, des dizaines de tuiles qui ont volé en éclats, du verre et des fragments de charpente.
«Douze kilos de TNT», hurle un policier au téléphone. C'est vers la fin de la prière que la bombe, apparemment placée sous un banc, a explosé dimanche matin. Le bilan donné dans la soirée est lourd : 23 morts et 49 blessés. «J'étais chez moi. J'ai tout de suite su que c'était une bombe, je me suis précipité pour aider les victimes. Quand je suis entré dans l'église, il y avait des débris partout. C'était irrespirable», explique de son côté Azem, étudiant en médecine .
Nagui, qui tient boutique non loin de là, s'apprêtait à aller prier :«Je ne peux pas croire qu'ils aient pu s'en prendre à notre église.» Le bâtiment est situé juste à côté de la cathédrale Saint-Marc, siège du patriarcat copte d'Egypte, dans un quartier normalement très sécurisé. Ce matin-là, les forces de sécurité étaient déployées, mais plusieurs témoins affirment que «les policiers étaient en train de petit-déjeuner. N'importe qui pouvait alors rentrer dans le bâtiment».
Abasourdi
A la stupéfaction, s'ajoute la colère. Sur place, face à l'impressionnant cordon de sécurité, une centaine de jeunes coptes lance des slogans hostiles du gouvernement. «Sissi dégage !» crient-ils en s'en prenant violemment à des journalistes taxés d'être pro régime. «Je ne comprends pas comment il leur a été possible de placer une bombe si près de la cathédrale, alors que le quartier est toujours bouclé», s'emporte l'un d'eux. Avant d'ajouter : «Entre 2011 et 2013, il y a eu des affrontements entre chrétiens et salafistes dans le quartier. Nous avons alors chèrement défendu nos édifices. Mais là, ils ont réussi à rentrer et à placer une bombe. Nous sommes perdus.»
C'est la première fois que le site de la cathédrale est attaqué et c'est surtout la première attaque terroriste d'envergure contre la communauté copte depuis celle du 1er janvier 2011 à Alexandrie dans le nord du pays, au moment où les fidèles étaient réunis pour fêter le Nouvel An.
L'un des responsables coptes, l'évêque Daniel, est assis devant l'église sur une petite chaise rouge. Il est abasourdi et prépare un communiqué des autorités religieuses : «Quand je suis rentré dans l'église, il y avait du sang partout. J'ai vu des femmes et des enfants à terre. Nous avons peur que les persécutions recommencent. Nous avons peur de la suite, de l'avenir, mais nous sommes soudés et nous condamnons fermement ce qui vient de se passer. Ceux qui essaient de nous tuer pensent qu'ils le font au nom de Dieu, mais ni l'islam ni aucune autre religion ne promeuvent de tels actes.» Ali est venu en badaud, comme des centaines d'autres : «Je ne suis pas copte, mais il s'agit d'Egyptiens comme nous. Je ne comprends pas ce que fait notre gouvernement. Il faudrait instaurer l'état d'urgence, limiter les déplacements, arrêter tous les islamistes. Combien de morts faudra-t-il encore avant que nos autorités adoptent enfin de vraies mesures ? Hier, les terroristes s'en prenaient à nos forces de sécurité; aujourd'hui, ce sont des civils.»
Trois jours de deuil national
De son côté, le père Rafic, porte-parole de l'Eglise catholique d'Egypte, confie : «Ce phénomène nous touche tous. C'est le cœur du Caire qui a été attaqué.» L'inquiétude commence à gagner la population, d'autant que cet acte survient deux jours après un double attentat dans la capitale contre les forces de sécurité qui a fait six morts et trois blessés parmi les policiers. Un double attentat revendiqué par Hassm, un groupe récemment apparu dans le paysage extrémiste égyptien, qui affirme vouloir combattre le gouvernement et ses forces de sécurité. Le président Al-Sissi a décrété trois jours de deuil national dans tout le pays. Aux abords de l'église, un jeune homme, les larmes aux yeux, s'écrie : «Joyeux anniversaire !» Ce 11 décembre, la plupart des Egyptiens fêtaient l'anniversaire de la naissance du prophète Mahomet, jour férié en Egypte.