Rolf Traeger est économiste en chef de la section des pays les moins avancés de la Conférence des Nations unies sur le commerce et le développement (Cnuced). Il est le coordinateur du rapport 2016 sur les pays les moins avancés.
Comment s’explique la dégradation de la situation des pays les moins avancés ?
Il y a plusieurs causes, mais l'une des plus importantes est sans doute celle liée à la crise financière mondiale de 2008-2009, dont les effets se font encore ressentir aujourd'hui. Cette crise s'est traduite par une forte réduction de la croissance mondiale. Japon, Etats-Unis, Europe pour les pays développés, ou encore Chine, Russie ou Brésil du côté des émergents, la crise n'a épargné aucune catégorie de pays. Elle a provoqué une contraction du commerce mondiale qui continue à peser fortement sur les économies des pays les moins avancés [PMA, ndlr]. Sur fond de ralentissement de l'activité mondiale, la catégorie des PMA a enregistré une chute des exportations de matières premières comme le pétrole, les métaux ou les matières premières agricoles.
Au point d’affecter les politiques budgétaires de ces pays les moins avancés…
Oui. Mais plus grave encore, ces pays n’ont pas pu compenser la chute des cours par une hausse des volumes exportés. Cette chute des volumes s’est négativement conjuguée avec celle des prix. C’est d’ailleurs une des causes qui expliquent la baisse des recettes fiscales, et qui se traduit à son tour par de dramatiques baisses des dépenses publiques. La plupart des 48 pays que compte la catégorie des PMA n’arrivent plus à couvrir leurs dépenses d’éducation, de santé, et encore moins celles nécessaires au financement des travaux d’infrastructures tellement indispensables pour amorcer un processus de développement économique et social. Historiquement déjà fragiles, ils le restent aujourd’hui. Pour sortir de cette impasse budgétaire, ils tentent de se financer à l’extérieur. Et c’est ainsi qu’ils augmentent leur dette publique externe, qui sert non pas à financer des dépenses d’infrastructures mais de simples dépenses courantes. Or ces dépenses devraient être financées par l’impôt issu d’une activité économique interne. Mais voilà, au lieu de s’améliorer, celle-ci se dégrade dans la plupart des PMA.
Et qu’en est-il des investissements étrangers dans ces pays ?
Bien sûr, les investisseurs étrangers misent sur ces pays. Mais ce sont toujours les mêmes qui en bénéficient, à l’instar de l’Angola, du Liberia ou de la Guinée. Là encore, ce sont ces investisseurs étrangers qui cherchent à exploiter les matières premières. En fait, tant que ces pays n’ont pas atteint un certain degré de développement, il est difficile d’espérer que d’autres formes d’investissements étrangers puissent s’y intéresser. Or, nous sommes dans cette situation.
Pourquoi êtes-vous inquiets sur la question du reclassement ?
En 2011, nous étions déjà conscients de la lenteur des progrès accomplis par les PMA. Et c’est à partir de ce constat, et avec la volonté de tracer une nouvelle feuille de route, que nous avons, lors de la conférence d’Istanbul, fixés comme objectif que la moitié des PMA répondent à des critères de reclassement d’ici 2020. Le reclassement, c’est donc lorsqu’un PMA cesse d’être un PMA pour devenir un pays en développement. Autrement dit, c’est une manière d’acter le fait qu’un PMA a atteint un certain degré d’autonomie économique qui lui permet d’abandonner les mesures de soutien internationales. A peine plus de 10 pays sur les 48 PMA répondront en 2020 aux critères de reclassement qui permettront de devenir des pays en développement.
Que faudrait-il faire ?
C’est hélas un peu toujours la même histoire. Ainsi, les donateurs doivent faire ce qu’ils se sont engagés à faire. A savoir, respecter leurs engagements à long terme d’allouer 1,15% à 0,20% de leur revenu national à l’aide aux PMA. Il nous faut passer des paroles aux actes et admettre en franchisse de droits et sans contingent 100% des exportations des PMA sur les marchés des pays développés. Sortir de l’impasse des négociations qui s’éternisent à l’Organisation mondiale du commerce sur la question du traitement spécial et différencié en faveur des PMA. Sur la seule question de l’aide publique au développement, si les pays donateurs respectaient leurs engagements, les PMA recevraient près de 50 milliards de dollars en plus tous les ans. Soit plus du double de ce qu’ils reçoivent aujourd’hui. C’est à la communauté internationale de prendre de nouvelles mesures pour casser ce cercle vicieux dans lequel semblent s’enfoncer nombre de pays les moins avancés.