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Libération
Anatolie

Turquie : le parti prokurde HDP cible des ultranationalistes

Après l'attentat-suicide de samedi à Kayseri, en Anatolie, qui a causé la mort de quatorze soldats, des manifestants ont saccagé le local du Parti démocratique des peuples (HDP) dans cette même ville, ainsi que des bureaux à travers le pays et notamment à Istanbul.
A Istanbul, dimanche, des manifestants ultranationalistes faisant le signe des «loups gris» assistent aux funérailles d'un soldat tué la veille dans l'attentat de Kayseri. (Photo Ozan Kose. AFP)
publié le 18 décembre 2016 à 18h43

Le drapeau turc noué autour du cou, la main tendue vers le ciel en formant le symbole des «loups gris», signe de ralliement de la droite nationaliste, une petite foule avance d’un pas décidé dans les rues de Kayseri (au centre du pays). La marche forcée s’arrête devant la caserne des «bérets bleus», les commandos de l’armée qui ont été visés samedi par une attaque suicide (14 militaires tués). La centaine de manifestants – proches du parti d’extrême droite turque MHP – slalome entre les voitures et se rue sur les trois soldats en faction devant la base. On les embrasse, on les félicite, on les serre dans ses bras avant de chanter à l’unisson l’hymne national.

A quelques dizaines de mètres plus loin, nouvelle pause, nouvel hymne, nouvelle prière. «C'est ici que nos martyrs sont tombés. Qu'ils ont donné leur sang pour notre terre», raconte Emre, 24 ans, les yeux rougis de larmes séchées maladroitement.

L’attaque suicide de samedi, une première pour cette ville d’Anatolie – tout acquise au parti islamo-conservateur AKP –, n’a pas été encore revendiquée mais le gouvernement pointe du doigt la piste des rebelles kurdes du Parti des travailleurs du Kurdistan, le PKK. Une plaie de plus pour une Turquie déjà meurtrie, il y a tout juste une semaine, par un double attentat dans le cœur d’Istanbul, revendiqué par un groupe affilié au PKK.

Dans les rangs des militants ultranationalistes, rassemblés ce dimanche, malgré le froid mordant, certains crient à la vengeance. L'heure est à la petite vendettaEt la cible est toute trouvée : le HDP, le parti de la gauche pro-kurde, accusé par la droite turque d'être le bras politique du PKK. «Depuis samedi soir, au moins une dizaine de nos locaux ont été attaqués dans tous le pays. On a appelé la police mais ils ne sont jamais venus. On a dû donner l'ordre à tous nos membres de ne plus se rendre dans les bureaux du HDP. On est obligé de rester chez nous, la peur au ventre», explique Nazmi Gür, un des cadres de la formation politique. Dimanche, les autorités turques ont arrêté neuf personnes soupçonnées d'avoir participé aux attaques de deux bureaux de l'HDP à Istanbul.

A Kayseri, plusieurs dizaines de militants nationalistes ont saccagé le local de la formation pro-kurde avant de tenter d'y mettre le feu. «Face à la douleur, avec le ressentiment, ils sont allés attaquer les bureaux du HDP, c'est tout naturel comme réaction», défend Erdem, qui confiera avoir assisté à la scène. «Parce que ce parti soutient les terroristes qui ont commis ces attaques», tente-t-il de justifier.

Si, publiquement, le gouvernement AKP dénonce les violences contre le parti prokurde, sa politique, elle, entretient ce climat de tension. «Le pouvoir tient un discours permanent de criminalisation du HDP. Des centaines de membres et de dirigeants du parti ont été arrêtés ces dernières semaines pour des liens supposés avec le PKK», souligne Ahmet Insel, politologue turc. Des arrestations qui se multiplient dès le lendemain de chaque attaque terroriste sur le sol turc. «Le gouvernement veut créer un amalgame immédiat entre le HDP et le PKK. Tout ceci offre une cible toute trouvée à la vindicte populaire.»