Comme à chaque attentat ensanglantant un lieu emblématique, des Twin Towers de New York à la promenade des Anglais de Nice, il y a toujours le risque de surcharger de sens la géographie du drame – les terroristes voulaient-ils sciemment attaquer un symbole ou ont-ils simplement frappé là où la foule se masse ? Il n'en reste pas moins que la tragédie, qui a fait au moins 12 morts et 48 blessés, s'est déroulée sur une place hautement signifiante aux yeux des Berlinois.
Le marché de Noël traversé par le camion tueur se tenait sur la Breitscheidplatz, au centre de Berlin, étape touristique quasi obligatoire, où trônent les restes de l'église du Souvenir de l'Empereur Guillaume, bombardée par les Alliés en 1943 et surnommé la «Dent Creuse» par les locaux. Il n'en reste que les murs et le clocher en flèche brisé, entourés d'appendices modernes et commémoratifs.
Avant-guerre, le quartier des cabarets
La place est longée par la grande avenue Kurfürstendamm, dite Ku'damm, et ses enseignes mondialisées, des magasins de luxe aux fast-foods ; l'équivalent des Champs-Elysées à Paris. Avant-guerre, le boulevard était l'épicentre des cabarets, des cafés et des cinémas de la République de Weimar, où l'on se divertissait en feignant d'ignorer la montée du nazisme, avant les premiers pogroms.
Pilonné à la fin de la Deuxième Guerre mondiale, le quartier devient ensuite le cœur de Berlin-Ouest, où se télescopent balafres historiques et signes d'adhésion au capitalisme occidental. Dans les années 1950, l'imposant «Kaufhaus des Westens», alors plus grand magasin d'Europe, renaît de ses cendres pendant que Willy Brandt inaugure l'immense centre commercial «Europa-Center». Entre passé tourmenté et présent consumériste, Kurfürstendamm est un concentré d'Allemagne moderne.