Alina Salganicoff est directrice du service Politiques de santé pour les femmes et vice-présidente de la
, une des ONG non partisanes les plus reconnues aux Etats-Unis sur les questions de santé publique.
Il y a beaucoup d’incertitudes sur l’avenir de l’Affordable Care Act (Obamacare). Etes-vous inquiète pour l’accès des femmes aux services de santé ?
Avec cette nouvelle administration, beaucoup se joue pour les femmes. Elles sont plus représentées parmi les faibles revenus et sont plus dépendantes des services de santé. L'Obamacare a permis des avancées très importantes. Elle a donné accès à des millions de femmes à une assurance santé, notamment grâce à Medicaid [l'assurance santé publique pour les plus pauvres, ndlr] et à son extension. Avant, pour en bénéficier, vous deviez correspondre à certains critères. Si vous n'étiez pas enceinte, parent d'un enfant handicapé, ou âgé de plus de 65 ans, vous ne pouviez y accéder, peu importe que vous ayez de très bas revenus. L'Obamacare a éliminé ces restrictions. Cette réforme donne aussi aux personnes à revenus plus élevés des aides financières pour qu'ils puissent se payer une assurance. Tom Price, le futur ministre de la Santé désigné par Trump, veut supprimer cette extension, et les aides financières.
Pour la première fois dans l’histoire du pays, l’Obamacare a fixé des obligations de services au niveau fédéral. Les soins préventifs n’ont plus à être avancés. Pour les femmes, cela comprend les mammographies, les frottis, les coloscopies, les soins prénataux, les tests d’hypertension, de dépression et d’immunisation, ainsi que la contraception. La nouvelle administration pourrait supprimer ces avantages sans démanteler toute la réforme.
Pensez-vous que le droit à l’avortement va être restreint ? La décision «Roe vs Wade» de la Cour suprême, qui l’a légalisé en 1973, peut-elle être abrogée ?
Tout est possible. Mais s'ils reviennent sur «Roe vs. Wade», ce sera à long terme. Pour l'instant, Donald Trump et Mike Pence doivent choisir un juge pour remplacer le conservateur Antonin Scalia [décédé en février, ndlr] à la Cour suprême. Ils vont probablement choisir quelqu'un qui partage les mêmes valeurs qu'eux, c'est-à-dire qui ne soutient pas le droit à l'avortement. Nous avons actuellement trois juges qui ont autour de 80 ans. Il est donc possible que Trump ait à nommer d'autres juges au cours de son mandat. Mike Pence s'est engagé auprès des mouvements anti-avortement et de son électorat religieux à nommer des juges pro-vie.
A mon avis, ils vont d’abord tenter d’interdire l’avortement après 20 semaines, c’est-à-dire en fin de grossesse. Ils essayent aussi de supprimer les subventions fédérales au Planning familial. De manière générale, ils veulent bannir toutes subventions publiques qui iraient à une organisation pourvoyant des services pro-avortement. S’ils réussissent, je ne pense pas que ce serait la fin du Planning familial. L’organisation a déjà reçu beaucoup de dons et de soutien, mais cela restera très difficile pour eux de tenir. Ils devront changer de structure.
Dans beaucoup d’Etats, il s’agit plus de restreindre l’accès à l’avortement que de l’interdire complètement…
C'est vrai. Dans l'Indiana [l'Etat dont est gouverneur Mike Pence, ndlr] ils ont rendu obligatoire l'enterrement ou la crémation des fœtus avortés, le consentement des parents, ont mis en place une période d'attente de soixante-douze heures, et des peines de prison pour les médecins opérant des avortements tardifs. Beaucoup de réformes comme celles-ci sont passées ces cinq dernières années au niveau des Etats. Ils vont se sentir encouragés. Dans le Mississippi, ils ont déjà passé des lois qui interdiraient l'avortement si «Roe vs. Wade» est annulée. Ils sont prêts.
Le démantèlement de l’Obamacare et de l’accès à l’avortement toucheraient-ils certains groupes de femmes plus que d’autres ?
Ce sont toujours les femmes les plus pauvres qui sont les plus touchées par les restrictions à l’accès aux soins médicaux. Elles n’ont pas les moyens de payer pour ces services ou de se déplacer dans des endroits où ils seraient abordables.
A lire aussi: Derrière Trump, le cash de l'ultra-droite
Est-ce que les Américaines ont conscience de ce qu’il pourrait leur être retiré ?
Nous allons justement organiser des sondages pour le savoir. C’est étonnant de voir des reportages, en Floride, sur des électrices de Trump qui disent tenir à leur Obamacare. Les Américaines ont sûrement conscience que des choses pourraient changer, mais pas de l’étendue de ces changements. On voit aussi beaucoup de femmes demander à se faire poser un stérilet, de peur de voir l’Obamacare abrogée ou du moins leur couverture contraceptive.