Menu
Libération
Profil

Une pétition pour financer la retraite d'un journaliste anti-mafia

Figure du journalisme engagé en Italie, oublié par l'Etat, Riccardo Orioles vit aujourd'hui avec 400 euros par mois.
Tweet de l'acteur Luca Salici en soutien à Riccardo Orioles.
publié le 11 janvier 2017 à 15h18

La mafia ne veut pas du journaliste Riccardo Orioles en Sicile. A 67 ans, ce symbole du journalisme anti-mafia a pourtant décidé de continuer à y travailler jusqu'à la fin de ses jours. Le prix à payer pour sa liberté est la précarité : il vit avec 400 euros par mois de retraite. Ses «carusi» («jeunes» en sicilien, ses disciples) ont lancé une pétition afin que l'Etat l'aide à payer les soins médicaux nécessaires pour ses problèmes cardiaques. En Italie, la loi Bacchelli prévoit un fonds pour les citoyens italiens sans ressources qui se sont démarqués pour leur contribution aux domaines des sciences, des lettres, des arts, de l'économie, du travail et du sport. Le 26 décembre, le journaliste Luca Salici a lancé une campagne sur la plateforme Change.org afin qu'Orioles puisse rentrer dans ce programme. Depuis, ils ont récolté presque 30 000 signatures ainsi que le soutien de personnages publics, dont le président du Sénat, Pietro Grasso, le président de la plus importante association anti-mafia (Libera), Luigi Ciotti, ou encore l'acteur Luigi Lo Cascio.

«Je ne voulais pas m’en occuper, mais elle était toujours là»

Riccardo Orioles, pipe et lunettes, travaille en Sicile depuis les années 80. Il a été formé par Pippo Fava, tué par la mafia sicilienne Cosa Nostra en 1984 à Catane. Depuis, il a toujours travaillé comme journaliste indépendant. Il a commencé avec il Giornale del Sud quand Fava y était rédacteur en chef. «Je voulais m'occuper de politique étrangère, a-t-il expliqué dans un documentaire de Elena Mortelliti, la Liberté a un prix. Mais Pippo m'a mis aux faits divers. C'est ainsi que j'ai rencontré la mafia : je ne voulais pas m'en occuper, mais elle était toujours là.»

Contrairement aux autres journaux qui pratiquaient beaucoup l'autocensure sur le sujet, celui de Pippo Fava n'hésitait pas à présenter les faits concernant la mafia. D'où, d'ailleurs, son licenciement au début des années 80. Un groupe de journalistes solidaires de sa cause le suit. Ils créent un nouveau titre, I Siciliani, dont la première couverture est consacrée aux «quatre chevaliers de l'apocalypse mafieuse», métaphore utilisée pour désigner un groupe d'hommes d'affaires de Catane. En 1984, Pippo Fava est tué et Riccardo Orioles décide de continuer avec ses camarades, malgré les difficultés. «A partir de là, travailler a été un sacerdoce, raconte-t-il dans le documentaire. Je me souviens d'une nuit pendant laquelle je travaillais avec un couteau sur la table. Avoir du courage, ce n'est pas difficile. Sauf quand on est tout seul.» Il savait sa vie en danger, mais il a décidé de continuer le travail commencé par Fava : après la fermeture de I Siciliani pour des raisons économiques, il s'est engagé dans d'autres projets, du magazine Casablanca jusqu'à l'une des premières newsletters en Italie au début des années 2000, La Catena di San Libero, qui lui permettait de donner des informations impossibles à écrire dans les journaux.

Huit journalistes tués

Riccardo Orioles est un modèle du journalisme intègre et engagé en Italie : il a choisi de se positionner en dehors des médias traditionnels pour pouvoir contourner le tabou de la mafia dans les médias. En Sicile, la mafia a tué huit journalistes entre les années 60 et la fin des années 90, ce qui a marqué toute une génération, avec Orioles comme mentor. D'où la pétition : «J'aimerais que les autorités reconnaissent la valeur d'un fin intellectuel tel qu'Orioles tant qu'il est encore vivant, et pas après sa mort», insiste l'initiateur de la pétition, Luca Salici.

Les disciples de Riccardo Orioles veulent faire en sorte que l'Etat se souvienne de lui et de sa condition : «Riccardo travaille depuis le 6 janvier 1984 pour former des nouvelles générations de journalistes, écrivent-ils dans le manifeste de la campagne. Du Nord au Sud de l'Italie, des centaines de rédacteurs et de directeurs de journaux et revues ont trouvé en lui un mentor, grâce à sa déontologie, sa grande capacité d'enquêteur et surtout son courage dans la lutte contre la mafia.»