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Libération

Iran : «Après l’accord sur le nucléaire, rien n’a changé pour les droits de l’homme»

Augmentation du nombre d’exécutions, climat politique tendu, droits des femmes bafoués… L’Iran progresse sur la scène internationale, mais la situation ne s’améliore pas.
Téhéran, en 2015.  (Photo Newsha Tavakolian . Magnum)
publié le 13 janvier 2017 à 20h06

Il est en grève de la faim depuis le 31 octobre. L’activiste Ali Shariati avait participé en 2014 à une manifestation pacifiques pour dénoncer les attaques à l’acide contre les femmes. Cela lui a valu une condamnation à cinq ans de prison. Selon Amnesty International, son état de santé se détériore vite.

Plus d’un an après l’accord sur le nucléaire et la levée des sanctions, et alors que l’Iran commence à s’ouvrir au monde, la question des droits de l’homme y est toujours loin d’être une priorité. En 2015, 969 personnes ont été exécutées, soit une augmentation de 29 % par rapport à 2014. Parmi elles, 638 l’ont été pour trafic ou usage de drogue. La tendance est encore plus marquée en 2016 : durant le premier semestre, plus de 650 personnes ont déjà été exécutées. L’ONU s’en est inquiétée et a adopté une résolution exigeant la fin des exécutions publiques.

Soudeh Rad, féministe iranienne et présidente de l'ONG Spectrum, accuse le régime du président Hassan Rohani de ne pas avoir tenu ses promesses. «Avant, et même pendant les négociations sur le nucléaire, ils ont fait pression pour que la question des droits de l'homme ne soit pas abordée, estimant que ça risquait de faire capoter les discussions. Mais le problème, c'est qu'une fois l'accord conclu, rien n'a changé.» Selon l'activiste, la situation s'est même dégradée : «Le régime vient de présenter un document sur les droits des citoyens. Cela nous a fait rire : selon les lois actuelles, si une personne exerce tous ses droits, elle encourt 110 ans de prison ! L'Iran a besoin de véritables changements, pas d'illusions.» En attendant, face à la violation de leurs droits, de plus en plus de prisonniers, tels le défenseur des droits des enfants Saeed Shirzad ou le dissident Mohammad Reza Nekounam, entament des grèves de la faim. En janvier, l'écrivaine Golrokh Ebrahimi Iraee et militante des droits humains, qui avait été condamnée à six ans de prison pour avoir écrit une histoire sur la lapidation, a été libérée après la grève de la faim de son mari. Mais ce dernier est toujours emprisonné.

Nataliste

Les droits des femmes restent aussi largement bafoués. Le gouvernement, qui promeut une politique nataliste, a rendu l'accès à la contraception plus compliqué. Les femmes sont obligées de porter le voile intégral, le hijab. Et la loi ne les protège pas contre les violences sexuelles ou le mariage précoce. «Le gouvernement veut enfermer les femmes dans le rôle de mères au foyer, dénonce Soudeh Rad. Le droit de travailler, de voyager à l'étranger ou de faire des études, dépend de la bonne volonté du mari.»

Sur le plan politique, le climat reste très tendu pour les partis d'opposition. Après l'arrivée de Rohani, leur activité a pu redémarrer mais plusieurs leaders, comme Hossein Moussavi, Mehdi Karoubi et Zahra Rahnavard, sont toujours assignés à domicile sans avoir été jugés et inculpés. La situation de la presse aussi est contrastée. Des journaux ont pu recommencer à être publiés, mais d'autres ont été ciblés par la censure. L'hebdomadaire conservateur Yalasarat et le mensuel féminin Zanan-E-Emrooz ont été fermés plusieurs mois avant d'être autorisés à reparaître. Selon Reporters sans frontières, l'Iran se classe à la 169e place sur 180, de la liberté de presse. En janvier le journaliste Hussein Movahedi a reçu 40 coups de fouet pour la publication des «fausses informations». Les réseaux sociaux sont sous surveillance. Mais leur impact se fait sentir. «Dès qu'il y a une arrestation, la nouvelle se propage et provoque un débat. La société a l'impression de pouvoir faire entendre sa voix et de peser sur le sort des prisonniers», explique Fariba Adelkhah, chercheuse à Sciences-Po Paris.

Transition

En France, Mohammad Sadeghi, ancien porte-parole de l'opposant Mehdi Karoubi, tire un premier bilan nuancé de la levée des sanctions. «On ne peut pas nier que quelque chose a évolué en Iran. Avant, le pays avait plus de difficultés économiques, il était plus isolé au niveau culturel et l'activité politique était impossible.» Les idées réformatrices n'ont pas disparu selon lui : «Elles s'expriment différemment. Après l'échec des manifestations de 2009, les jeunes ont décidé d'adopter une stratégie moins radicale. Manifester les avait conduits en prison, ils devaient changer de mode d'action.» Et Fariba Adelkhah d'ajouter : «La jeunesse iranienne s'est renfermée sur elle-même. C'est l'une des conséquences des sanctions. Le régime a multiplié les discours affirmant qu'il était menacé, ce qui a poussé les jeunes à ne pas s'investir politiquement pour ne pas ajouter une menace intérieure à la menace extérieure.»

Un an après les manifestations pour fêter la fin des sanctions, l'Iran est en transition. «Le bilan de Rohani n'est pas lamentable, dit Fariba Adelkhah. Il est arrivé à une période délicate mais il a obtenu un accord qui a des conséquences immenses. Et il ne faut pas oublier que le pouvoir en Iran repose sur un système collégial.» Le Guide suprême, Ali Khamenei, reste la plus haute autorité politique et religieuse et contrôle les Gardiens de la révolution. La politique de Rohani a en outre heurté le bloc conservateur. «Si jamais ils reprenaient le pouvoir, résume Mohammad Sadeghi, ils reviendraient sur toutes les tentatives de réforme.»