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Obama et les armes : pas de cessez-le-feu en vue

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Si le président n'a cessé de dénoncer les ravages des armes à feu, il n'est pas parvenu à réformer la législation face aux pressions de la National Rifle Association et à la frilosité du Congrès.
Barack Obama à l'issue de son discours après la tuerie dans une école de Newtown. (Photo Kevin Lamarque. Reuters)
publié le 17 janvier 2017 à 10h07

Cet article est une version amendée de celui publié fin octobre dans notre supplément «Obama Blues».

C'était il y a quatre ans. Barack Obama prononce, derrière son pupitre à la Newtown High School, l'un des discours les plus marquants de sa présidence. Deux jours plus tôt, 27 personnes, dont 20 enfants, ont été tuées lors d'une ­fusillade à l'école primaire Sandy Hook dans la ville de Newtown (Connecticut). A l'énonciation de l'âge des enfants morts, qui avaient tous entre 5 et 10 ans, le Président marque un long silence, avant de reprendre tant bien que mal son discours. Il promet d'utiliser «tous ses pouvoirs» pour éviter qu'une telle tragédie se reproduise.

«A ce moment, on pensait assister à un vrai changement de fond, décrit Amy Greene, chercheuse américaine à Sciences-Po Paris. Mais le lobby pro-armes de la National Rifle Association [NRA] était trop fort.» S'appuyant sur l'ambiguïté du deuxième amendement de la Constitution de 1787, qui stipule qu'«une milice bien organisée étant nécessaire à la sécurité d'un Etat libre, le droit qu'a le peuple de détenir et de porter des armes ne sera pas transgressé», la NRA, qui revendique 5 millions de membres, défend ardemment le droit des Américains à porter une arme.

Mais au lendemain de la tuerie de Newtown, Obama bénéficie du soutien d'une large partie de la population et décide de s'attaquer au dossier. Sans succès. Le 19 mars 2013, les sénateurs de son propre camp abandonnent la mesure phare du projet : l'interdiction des armes d'assaut, type d'arme notamment utilisé par Adam Lanza, le tueur de l'école Sandy Hook. Cette interdiction avait pourtant déjà été mise en place de 1994 à 2004, mais elle n'avait jamais été renouvelée. «Le texte ne dispose pas du soutien nécessaire pour survivre», se justifie le chef de la majorité démocrate au Sénat, Harry Reid.

«Jour de honte»

Nouveau revers un mois plus tard : le Sénat rejette, le 17 avril 2013, une mesure qui devait rendre obligatoires les vérifications d'antécédents avant l'achat d'une arme sur Internet et dans les foires. 41 sénateurs républicains et 4 démocrates votent contre, ne permettant pas la majorité requise (60 députés sur 100). «C'est un jour de honte pour Washington», fulmine le président des Etats-Unis. «Ce blocage au Congrès n'est pas seulement le fait des républicains, analyse Nicole Bacharan, politologue franco-américaine. Beaucoup de démocrates ont reculé, pensant qu'une position trop arrêtée sur les armes pouvait leur nuire lors des prochaines élections.» De nombreux élus craignent, en effet, de perdre le soutien financier de la NRA. Le puissant lobby surveille également les déclarations des candidats sur le port d'armes et les rend publiques, ce qui peut leur mettre à dos bon nombre d'électeurs pro-armes. En 2000, lors de la campagne présidentielle, le candidat démocrate, Al Gore, en fait l'amère expérience. Défendant un contrôle plus strict du port d'armes, il perd les Etats de l'Arkansas, du New Hampshire et du Tennessee, majoritairement pro-armes.

En 2008 et 2009, au début de son premier mandat, Obama jouissait pourtant d'une majorité au Congrès. Mais la crise des subprimes et la mise en place de la réforme de santé dite «Obamacare» (lire page 17) accaparent tout son capital politique. «Il ne voulait pas non plus commencer son mandat par un sujet polémique, précise Vincent Michelot, professeur d'histoire politique des Etats-Unis à Sciences-Po Lyon. L'ex-président démocrate Bill Clinton l'avait appris à ses dépens, quand il avait promulgué une loi offrant un compromis pour l'admission des homosexuels dans l'armée au début de son mandat.»

Charleston, Oregon, San Bernardino… les fusillades meurtrières se succèdent en 2015 et deviennent des «routines» déplorées par Obama à chacun de ses discours. Des fusillades qui ne sont en fait que la partie visible de toutes les morts par arme à feu que comptent les Etats-Unis, soit en moyenne 30 000 par an selon une étude du Pew Research Center. Las de ces tueries, Obama décide en janvier de passer outre le Congrès et annonce la promulgation de 23 «executive orders», l’équivalent des décrets présidentiels en France. Les républicains l’accusent d’abus de pouvoir, mais le Président ne s’en soucie guère. Parmi ses mesures, l’obligation pour les vendeurs d’armes occasionnels ou sur Internet d’obtenir une autorisation des autorités, sous forme de licence, et de faire vérifier les antécédents des acheteurs auprès de la base de données du FBI. Ces décrets prévoient également l’augmentation des moyens des agences fédérales responsables de ces contrôles, l’amélioration de l’aide aux personnes souffrant de troubles mentaux qui pourraient posséder une arme, ainsi que le développement de la technologie sur la sécurité des armes à feu.

«Portée symbolique»

Mais ces executive orders ont une portée limitée. «Un décret ne peut s'inscrire que dans le cadre de lois déjà existantes, explique Nicole Bacharan. Et beaucoup d'entre eux ont été attaqués devant les tribunaux et ne sont, de fait, pas encore appliqués.» Soutenu par la NRA, Donald Trump a promis lors de la campagne d'abroger tous ces décrets. Une interdiction des armes d'assaut n'est pas non plus à l'ordre du jour. En juin, c'est pourtant encore avec une arme semi-automatique, un fusil d'assaut Sig Sauer MCX, qu'Omar Mateen abat de sang-froid 49 personnes au Pulse, une boîte gay d'Orlando (Floride). Le pire attentat aux Etats-Unis depuis le 11 septembre 2001. «Ces décrets ont avant tout une portée symbolique de par le message qu'ils envoient, estime Amy Greene. Cela montre que le contrôle des armes est un sujet important, qui sera repris par les démocrates.»