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Obama blues

Obama et le monde : diplo de consolation

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Distant vis-à-vis du Moyen-Orient, peu intéressé par l’Europe, Obama a fait du «pivot» vers l’Asie l’un des piliers de sa politique étrangère.
A Berlin le 24 juillet 2009, au début de la tournée européenne du candidat démocrate à la Maison Blanche. (Photo Jae C. Hong. AP)
publié le 19 janvier 2017 à 10h17

Cet article a été publié fin octobre dans notre supplément «Obama Blues».

«Aussi justifiée soit-elle, la guerre promet une tragédie humaine.» Dans son discours pour le prix Nobel de la paix, fin 2009, Barack Obama dessine les contours de la «guerre juste», parfois «nécessaire» mais «jamais glorieuse». En filigrane apparaît déjà la «doctrine Obama»  : réalisme, multilatéralisme et conviction profonde que la puissance militaire (en tout cas sous la forme d'interventions au sol) ne doit s'exprimer qu'en dernier recours. Elu sur la promesse de mettre fin aux guerres en Irak et en Afghanistan, double bourbier hérité de la déraison des années Bush, le président américain rêve d'un nouveau départ avec le monde arabe. De paix israélo-palestinienne. Il le clame lors ­du célèbre discours du Caire.

Alors que s'achève sa présidence, les espoirs d'Obama ont laissé place au fatalisme, voire à un certain mépris pour le Moyen-Orient, une région où, dit-il, prospèrent «idéologies extrémistes» et «régimes autocratiques». Une zone devenue en outre moins stratégique pour Washington grâce à la renaissance énergétique américaine. Ce fatalisme culmine en Syrie. En août 2013, Obama renonce à frapper le régime d'Al-Assad, qui vient pourtant de franchir la «ligne rouge» sur les armes chimiques. Nombreux sont ceux qui l'accusent d'avoir affaibli l'Amérique, sacrifié la Syrie et renforcé la Russie. Lui se dit «très fier de ce moment», tout en se défendant farouchement d'être faible. «Je suis le président qui a éliminé le plus de terroristes», rappelle celui qui a fait de la guerre à distance, à coups de frappes de drone, l'une de ses marques de fabrique.

Distant vis-à-vis du Moyen-Orient, peu intéressé par l’Europe, Obama a fait du «pivot» vers l’Asie l’un des piliers de sa poli­tique étrangère. Et si le reset («redémarrage») des relations avec Moscou a échoué, le dia­logue voulu par le dirigeant américain (y compris avec les ennemis historiques des Etats-Unis) a débouché sur plusieurs succès : l’accord nucléaire avec l’Iran, le rapprochement avec Cuba et l’accord sur le changement climatique. Ces trois moments incarnent l’Amérique selon Obama : tournée vers l’avenir, plus réfléchie, moins belliqueuse. Quitte à laisser se prolonger, non sans cynisme, l’insoutenable calvaire du peuple syrien. Retour sur huit ans de politique étrangère à travers cinq discours, prononcés sur (presque) cinq continents.

Addis-Abeba, 28 juillet 2015

Le «fils d’un Africain» boudé par les «crocodiles»

Qu’ont-ils pensé, tous ces dirigeants inamovibles d’Afrique, en écoutant le discours prononcé par Barack Obama le 28 juillet 2015 dans leur citadelle, le siège de l’Union africaine (UA) à Addis-Abeba, la capitale de l’Ethiopie ? Ont-ils été indifférents ou bien agacés par le discours, peu friendly, du premier président américain invité à s’exprimer du haut de cette tribune où se succèdent d’habitude des orateurs aux pa­roles plus ­léni­fiantes ? On ne le saura jamais. Car cette ­allo­cution, les dirigeants ­africains (élus démocratiquement ou despotes) l’ont tous suivie de loin : aucun chef d’Etat du ­continent, sauf le Premier ministre éthiopien, Hailé Mariam Des­salegn, représentant du pays hôte, n’était venu écouter Obama lors de cette ­dernière étape de son ultime voyage en terre africaine en tant que chef des Etats-Unis. ­Robert Mugabe, indétrônable nonagénaire à la tête du Zimbabwe, à l’époque président de l’UA, avait lui aussi ­refusé de venir pour accueillir le ­premier ­dirigeant noir ­américain.

«Fier d'être américain», mais aussi «fils d'un Africain», rappelle-t-il d'emblée ce jour-là. Cela lui donne-t-il le droit d'être plus franc ? Quatre ans auparavant, en janvier 2011, à la même tribune, le président Nicolas Sarkozy soulignait que «la France ne veut donner de leçon à personne ni chercher à imposer de ­modèle». Obama choisit, lui, de fustiger sans détour la corruption mais aussi les manipulations constitutionnelles grâce auxquelles les despotes tentent de s'offrir un vernis démocratique. «Les progrès démocratiques sont en danger quand des dirigeants refusent de se retirer une fois leur mandat terminé», martèle Obama, qui n'hésite pas à se mettre en scène : «Laissez-moi être honnête, je comprends ! Je suis privilégié de servir comme président. J'adore mon travail, mais notre Constitution ne me permet pas de me présenter à nouveau.»

Cette charge contre les «crocodiles» africains n'a rien d'inédit. Dès son premier séjour en Afrique en juin 2009, moins d'un an après sa victoire électorale, à Accra au Ghana, Obama avait donné le ton : «L'Afrique n'a pas besoin d'hommes forts mais d'institutions fortes», avait dit ce fils d'un Kényan, dans lequel ce ­continent avait mis tant d'espoirs. En 2008, le jour de son investiture avait même été déclaré férié au Kenya, où vivent encore certains de ses proches.

Personne n’a vu que c’est justement là qu’a été sa faiblesse. Oui, Barack Obama est non seulement noir, mais aussi «fils d’un Africain». Il s’est rendu à deux reprises dans le pays de son père avant d’être élu président. Mais il ne se l’est permis qu’une seule fois en tant que chef de la superpuissance américaine, la veille de ce discours en Ethiopie, justement. C’est tout le drame d’Obama. Longtemps «harcelé» en raison de son lieu de naissance, il n’a pas pu surinvestir son identité africaine pour infléchir la politique américaine. Et sa promesse d’un new deal («nouvelle donne») entre l’Afrique et les Etats-Unis, annoncée dès 2009 au Caire, s’est sans cesse heurtée à d’autres urgences planétaires alors qu’à Washington, le continent africain n’a jamais été considéré comme «vital». Il y a bien sûr eu les enjeux ­sécuritaires, le soutien à la lutte contre Boko Haram au Nigeria, contre les shebab en Somalie. Mais c’était déjà l’option ­privilégiée de ses prédécesseurs.

Au final, Obama aura visité sept Etats africains, toujours au pas de course. Bien moins que George W. Bush (dix pays) et Bill Clinton (huit pays), dont les accords en matière d’échanges et de lutte contre le sida ont eu des impacts plus durables. Reste le symbole incarné par un président noir qui n’a jamais perdu son aura sur un continent avide d’espoirs. Lors de son discours en Ethiopie, au siège de l’Union africaine, il a été fortement applaudi par des jeunes, invités à l’écouter dans le hall Nelson-Mandela, en l’absence des «crocodiles». «Quand je ne serais plus au pouvoir, je reviendrai plus souvent en ­Af­rique», a alors promis le président.

Barack Obama au Caire (Egypte), le 4 juin 2009. Photo Larry Downing. Reuters

Le Caire, 4 juin 2009

Les rendez-vous manqués avec le monde arabe

Beaucoup ont voulu croire à la sincérité de celui qui affirmait : «Je suis venu chercher un nouveau départ entre les Etats-Unis et les musulmans du monde entier.» Parce qu’il s’appelle Barack Hussein Obama, comme disaient les Arabes en insistant sur le second prénom si familier du nouveau président américain, parce qu’il est noir, parce qu’il est fils d’un Africain et parce qu’il est si différent de ses prédécesseurs, il fallait au moins l’écouter.

Egyptiens, Arabes et musulmans… ils sont des dizaines de millions à suivre en direct le discours d'Obama au Caire, le 4 juin 2009, retransmis avec traduction simultanée sur toutes les chaînes satellitaires arabes. Sur le ton du «je vous ai compris» du général de Gaulle, le dirigeant soulève l'une après l'autre, lors de ce discours, les questions qui nourrissent le ressentiment arabe envers la politique américaine. Il se démarque, à mots à peine couverts, de son prédécesseur, George W. Bush, incarnation de l'interventionnisme agressif dans la région. Tout en gardant pour priorité le combat contre «la violence extrémiste», il explique qu'il veut le faire avec les musulmans et non contre eux, mentionnant à plusieurs reprises un ­«partenariat». Outre la fin de la «guerre des civilisations», le nouveau président annonce sa ferme intention de mettre un terme aux aventures militaires en Afghanistan et en Irak, en programmant le retrait des troupes américaines ici et là. Parmi les diverses promesses d'Obama, le dossier israélo-palestinien est le plus attendu. Pour la solution des deux Etats, où Israéliens et Palestiniens vivraient en paix et en sécurité, Obama prend un engagement ferme : «J'ai l'intention de rechercher personnellement cette solution, avec toute la patience que la tâche requiert.»

Cette affirmation au Caire est vite crédibilisée par une fermeté sans précédent du président américain. Obama exige d'Israël l'arrêt des activités de colonisation comme ­condition préalable à toute négociation. Il va même jusqu'à infliger un affront à Benyamin Nétanyahou, en visite à Washington en mars 2010. Devant le refus du Premier ministre israélien de revenir sur la construction de nouveaux logements à Jérusalem, il le plante dans une salle de la Maison Blanche en lui disant qu'il doit dîner avec Michelle et les filles. Mais quelques mois après cet épisode orageux, les pressions intérieures montent et le ton d'Obama retombe. Il accueille à nouveau ­Nétanyahou à Washington en juillet 2010, soulignant «l'amitié extraordinaire» qui unit leurs «deux démocraties».

Cette renonciation d’Obama sur le dossier israélo-palestinien est la première d’une série de désengagements de ses promesses aux Arabes et aux musulmans. Prudence et méfiance deviennent ses règles de conduite, même lorsque les peuples de la région bousculent l’histoire, début 2011. Sans aller à la rescousse des dictateurs, y compris parmi les plus proches alliés des Etats-Unis comme l’Egyptien Hosni Moubarak, les Américains ne soutiennent pas pour autant les révolutionnaires qui réclament la démocratie dans les pays arabes. Ils se mettent ainsi à dos les régimes voisins amis, dans le Golfe notamment, qui leur reprochent leur ingratitude, et les ­populations arabes déçues du manque ­d’enthousiasme pour leur ­mouvement.

Le conflit syrien vient couronner tragiquement la série des rendez-vous manqués d’Obama avec l’histoire du monde arabe. Aux premiers temps d’escalade de ton et de gestes à l’encontre du régime de Bachar al-Assad succèdent les hésitations à soutenir les opposants poli­tiques ou les rebelles. Face à la ­répression féroce de l’armée du régime, le président américain croit anticiper, en fixant comme ligne rouge l’usage des armes chimiques. Une fois cette ligne franchie en août 2013, Obama panique. Il arme, puis désarme, lâchant la France, prête à intervenir à son côté. Puis il saisit l’offre russe de retirer au régime de Bachar al-Assad son arsenal ­chimique, ce qui lui épargne une expédition punitive en Syrie. Cette immense reculade ­résume tous les autres renoncements de ­Barack Obama sur ses promesses au monde ­arabo-musulman.

Hanovre, 25 avril 2016

Une «douce négligence» à l’égard de l’Europe

«Ce continent, au XXe siècle, était constamment en guerre. Les gens y mouraient de faim, les familles y étaient séparées. Maintenant, des gens tentent désespérément de venir ici, précisément en raison de ce que vous avez accompli […], une Union européenne avec plus de 500 millions de personnes parlant 24 langues dans 28 pays, dont 19 avec une monnaie unique. [Cela] constitue l'une des plus grandes réalisations politiques et économiques des temps modernes.» On chercherait, en vain, un dirigeant européen capable de délivrer un tel plaidoyer en faveur du projet communautaire. C'est pourquoi il a fallu un «outsider, quelqu'un qui n'est pas européen, pour vous rappeler ce que vous avez accompli». En l'occurrence Barack Obama, lors d'un long discours prononcé à Hanovre, en Allemagne, le 25 avril dernier.

En dépit de ces mots forts, l'Europe a été la grande absente de ses deux mandats, marqués par la tentative ratée de «pivot» vers l'Asie, le désengagement des théâtres de combat en Afghanistan et en Irak, la poursuite du retrait des troupes américaines du Vieux Continent et, enfin, les négociations avec l'Iran. En fait, l'Europe n'est redevenue un sujet pour l'administration Obama qu'à partir du moment où ses fragilités, révélées par les multiples crises qu'elle traverse sans parvenir à les régler, la menacent d'éclatement, ce qui constituerait un danger pour la sécurité et la prospérité des Etats-Unis et du reste du monde. «Ce qui arrive sur ce continent a des conséquences pour tous les peuples de la planète, a martelé le président américain à Hanovre. Vous ne pouvez pas tenir pour définitivement acquis» ce qui a été ­accompli.

«Obama a longtemps considéré que l'Union n'était pas un problème, mais un territoire composé d'alliés rassemblés au sein de ­l'Organisation du traité de l'Atlantique Nord [Otan], rappelle Nicholas Dungan, du think tank Atlantic Council à Washington et directeur de recherche à l'Institut des ­relations internationales et stratégiques (Iris). On n'intervient donc que si l'Alliance atlan­tique ou les intérêts américains sont menacés.» Sur le plan économique, cela a été par exemple le cas lors de la crise de l'euro : entre les 7 et 9 mai 2010, Obama a appelé à plusieurs reprises Angela Merkel, la chancelière allemande, afin de la convaincre de voler au secours de la Grèce. Pressions renouvelées en septembre 2011 pour que les Européens arrêtent de prendre des demi-mesures. C'est aussi Obama qui a convaincu en mai 2010 José Luis Zapatero, le Premier ministre espagnol, d'adopter un plan de rigueur pour éviter à son pays d'être attaqué par les marchés.

La «douce négligence» d'Obama à l'égard de l'Europe explique toute une série de ratés américains sur le Vieux Continent : la Maison Blanche n'a pas vu venir, en 2015, l'agression russe en Ukraine, a sous-estimé la gravité de la crise des réfugiés (dont son pays est pourtant largement responsable) puis a été surprise par le Brexit. Ces crises, particulièrement délétères pour l'Union européenne, expliquent son vibrant plaidoyer de Hanovre : un effondrement de l'UE serait une catastrophe pour le Vieux Continent mais également pour les Américains qui ne peuvent se ­permettre «un chaos européen», selon l'expression de Thomas Gomart, le patron de l'Institut français des relations internatio­nales (Ifri).

Le bilan plutôt médiocre de Barack Obama en Europe ne serait pas complet sans rappeler que, grâce à lui, si l'on ose dire, les citoyens de l'Union ont également pris conscience du coût de leur ­assujettissement militaire : «La protection américaine est lourdement facturée par un ­système d'amendes et de sanctions contre les entreprises européennes», explique ­Thomas Gomart, comme l'ont montré les poursuites américaines contre BNP Paribas, la ­Deutsche Bank, mais aussi l'espionnage ­industriel et politique massif révélé par ­Edward Snowden. D'où la volonté renforcée de l'Union de créer une défense proprement européenne maintenant que Londres, ­défenseur des intérêts américains dans l'UE, n'est plus en ­mesure de bloquer quoi que ce soit…

La Havane, 22 mars 2016

Réconciliation avec l’Amérique latine

Le 22 mars 2016, les Cubains ont les yeux rivés sur leur écran de télévision : non seulement un président des Etats-Unis visite leur pays pour la première fois depuis les années 20, mais il s'adresse à eux en direct. «Je suis venu enterrer les derniers vestiges de la guerre froide en Amérique», proclame Obama, qui cite aussi un vers du poète José Martí, héros de la guerre d'indépendance de Cuba à la fin du XIXe siècle. Cette volonté d'ouvrir une nouvelle ère avait été dévoilée seize mois auparavant : le 17 décembre 2014, le président américain annonçait conjointement avec son homo­logue cubain, Raúl Castro, la reprise des relations diplomatiques, interrompues depuis 1961. La réouverture des ambassades et le voyage à Cuba ont été les étapes sui­vantes de la normalisation, qui ne sera complète qu'avec la levée de l'embargo écono­mique qui sanctionne toujours l'île «socialiste».

L’appétit des entreprises américaines pour ce marché quasiment vierge est réel, mais avec 12 millions de consommateurs, Cuba n’a rien d’un futur eldorado. La portée de la démarche d’Obama, risquée en raison de l’opposition à tout dialogue de la part du puissant lobby anticastriste de Floride, est surtout symbolique. Les populations d’Amérique latine voient d’un bon œil la fin de l’ostracisme, en rupture avec les pratiques intervention­nistes de Washington, fréquentes au XXe siècle, dictées par la peur de voir s’installer des régimes communistes dans son backyard («arrière-cour»).

Les relations avec le Mexique revêtent une tout autre importance. Le voisin du sud partage avec les Etats-Unis 3 200 kilomètres de frontière poreuse, par où s’infiltrent migrants clandestins et cargaisons de drogue. Depuis l’«initiative de Mérida», en 2007, Washington finance le Mexique pour la lutte contre le trafic de stupéfiants, surtout dans une optique sécuritaire (entraîner et armer les forces «antinarcos»), et un peu pour renforcer l’Etat de droit et l’indépendance de la justice, et moderniser le système pénitentiaire. Obama a, dans ce domaine, poursuivi la politique lancée par George W. Bush, auquel on a reproché de se polariser sur le seul Mexique, négligeant les pays des Caraïbes ou d’Amérique centrale. Des élus font en outre valoir que les Etats-Unis ont dépensé 1,5 milliard de dollars en huit ans (2008-2015), et que la ­drogue continue à inonder le nord du Río Grande.

Avec le géant brésilien, les relations ont été empoisonnées par le scandale révélé par ­WikiLeaks en 2013 : les écoutes par l’Agence nationale de sécurité américaine (NSA) des communications de la présidente Dilma Rousseff et de plusieurs ministres. La réconciliation a eu lieu grâce à des accords écono­miques, au moment où le Brésil est malmené par la crise. Les deux mandats de Barack Obama se sont déroulés au moment d’une mutation du paysage politique du sous-continent. A son arrivée, l’Amérique latine s’était montrée sen­sible au discours sur le «socialisme du XXIe siècle» du Vénézuélien Hugo Chávez, avec ses attaques permanentes contre «l’Empire». Au fil du temps, des gouvernants plus yankee friendly sont arrivés au pouvoir, ou s’apprêtent à le faire. Un climat favorable dont devrait profiter le prochain hôte de la Maison Blanche.

Rangoun, 19 novembre 2012

Opération pacification en Asie

Il a été le premier à fouler le sol birman. Aucun président américain en exercice n’était venu à Rangoun, la capitale économique de la Birmanie. Pis, moins de deux ans auparavant, la junte vouait une sourde ­animosité à Washington. La visite du 19 novembre 2012 a donc bel et bien été historique pour Barack Obama et cet d’Etat d’Asie. Le président américain est arrivé dans un pays plongé dans le grand chambardement d’une transition démocratie initiée et verrouillée par les militaires. Les généraux ont troqué les treillis contre des costumes et ont transmis une partie des rênes à un gouvernement civil ­conduit par le réformateur Thein Sein. Ils ont libéré leur ennemie de toujours, Aung San Suu Kyi, élue députée lors de législatives ­partielles.

Aux yeux des Etats-Unis, la Birmanie incarne le visage d'une Asie qui s'ouvre et s'autonomise face à une Chine hégémonique. Elle est au cœur de la stratégie du «pivot», du désir de Washington de rééquilibrer sa diplomatie vers la zone Asie-Pacifique. «Nous avons une responsabilité unique en termes de stabilité et de paix dans la région»«s'écrira une grande partie de l'histoire du XXIe siècle», expliquait en 2012 Kurt Campbell, assistant du secrétaire d'Etat pour les Affaires du Pacifique et d'Asie du Sud-Est, l'un des pères du «pivot».

A l'université de Rangoun, Barack Obama a donc tendu «la main de l'amitié» au nouveau régime birman et s'est adressé à la jeunesse. Dans son discours, le Président a rappelé les valeurs qui fondent les Etats-Unis, a livré un plaidoyer inspiré pour la démocratie, a revisité les «quatre grandes libertés fondamentales». Et jeté des passerelles  : «Je veux envoyer un message à travers l'Asie. On n'a pas besoin d'être défini par les prisons du passé. Nous devons regarder vers l'avenir.»

Représentant du premier gendarme de la planète, il s'est posé en acteur régional, en moteur du «pivot». Il s'est adressé à la Corée du Nord : «Abandonnez vos armes nucléaires et choisissez le chemin de la paix et du progrès. Si vous le faites, vous trouverez la main tendue des Etats-Unis d'Amérique.» Il a évoqué la Chine : «Nous nous félicitons de l'émergence pacifique de [ce pays].» Rangoun fut longtemps l'arrière-cour de Pékin. L'évocation, par Obama, des libertés universelles, a été autant de pierres jetées dans le jardin des dictatures et des régimes autoritaires de la région, à commencer par la Chine.

Mais durant ces années de «pivot», Obama s’est efforcé de montrer qu’il n’est pas dans une logique d’endiguement du géant chinois, mais plutôt dans une stratégie ­d’association à un ordre international fondé sur le respect du droit, de la liberté de commerce et de navigation. Pékin a montré cet été tout le bien qu’il pensait de cette idée, en martelant qu’il ne respecterait pas l’arrêt de la Cour permanente d’arbitrage de La Haye sur le différend en mer de Chine méridionale. Le «pivot» a surtout consacré l’hégémonie agressive du régime de Pékin en mer de Chine, où il a multiplié les grands travaux sur des îlots et des atolls pour s’assurer le ­contrôle des routes ­militaires et commerciales.

Washington a signé des alliances et des ­partenariats avec les voisins de la Chine, a ­redéployé troupes et matériel, sans jamais dissuader Pékin d'avancer ses pions. Avec l'arrivée à la présidence des Philippines de l'imprévi­sible Rodrigo Duterte, il semble même être en train de perdre l'un de ses ­alliés dans la région. Mais c'est avec la Corée du Nord que le pivot s'est montré sans boussole. Au nom d'une curieuse «patience stratégique», Obama n'a pas envisagé un ­début de sortie de crise avec Pyongyang. Pis, depuis 2013, Kim Jong-un a procédé à trois essais nucléaires et à plusieurs dizaines de tirs de missile. «Les Etats-Unis n'acceptent pas et n'accepteront ­jamais la Corée du Nord comme une puissance nucléaire», tonnait la Maison Blanche en septembre, après le second essai atomique en huit mois. Comme si cela ne semblait pas déjà le cas.

Le pivot a plus été l'occasion pour Barack Obama de se poser en pacificateur, de sortir des «prisons du passé», comme il l'avait dit à Rangoun. Sans jamais présenter d'excuses, le Président s'est employé à sonder l'héritage de la Seconde Guerre mondiale et à reconnaître d'une manière plutôt habile les responsabilités des Etats-Unis en Asie. Le 27 mai dernier, il s'est rendu à Hiroshima. Premier président américain en exercice à aller dans cette ville, où au moins 140 000 personnes sont mortes (rien qu'en 1945) à la suite du bombardement atomique. Il est venu rendre hommage aux victimes et alerter sur les ­menaces d'extinction de l'espèce humaine. «Leurs âmes nous parlent, elles nous demandent de regarder au fond de nous-mêmes. […] Il nous faut changer d'état d'esprit sur la guerre elle-même.» Sept ans après son discours à Prague, en République tchèque, il a donc rappelé une nouvelle fois son souhait d'un «monde sans arme nucléaire». Mais sans dérouler de propositions concrètes, ni de plan d'action.

Début septembre, il est allé au Laos, pays le plus bombardé durant la guerre du Vietnam. Là encore, il est revenu sur l'«héritage douloureux» du conflit et a déclaré que les Etats-Unis ont «l'obligation morale d'aider le Laos à guérir».

Reste le volet commercial. Là, le pivot n’a pas fait beaucoup recette. Le partenariat transpacifique, vaste accord de libre-échange porté par le président américain depuis 2008, a certes été signé en février, mais il n’est pas encore ratifié. Ni Donald Trump ni Hillary Clinton n’en­tendent le faire. Barack Obama devra se trouver un autre cadeau de départ de la Maison Blanche.