Menu
Libération
Obama blues

Obama et le swag : un chic type

Obama bluesdossier
Le 11 avril 2008 à Chicago. (Photo Scout Tufankjian. Polaris. Starface)
publié le 19 janvier 2017 à 13h50

Cet article a été publié fin octobre dans notre supplément «Obama Blues».

Il semblait indéboulonnable, son règne aura duré quarante-huit ans  : tout ce temps-là, la planète s’est couchée de plus ou moins bonne heure avec la conviction que JFK, aka John Fitzgerald Kennedy, resterait dans l’histoire comme le plus stylé des présidents. C’était avant. Avant l’avènement de Barack Obama. Mettons-les ex aequo, proposeront d’aucuns. Rien du tout, à notre avis. Ce dernier l’emporte haut la main. Parce que le swag. Alliage du style et du charisme, cet atout est redoutable, palpable mais difficile à cerner, de l’ordre de l’alchimie.

JFK, 44 ans quand il a été élu, était cool, avait du charisme, les dents Ultrabrite, une aura de séducteur qui émoustillait les femmes et éblouissait les hommes. Obama, 47 ans lors de son entrée en fonction, est moins sexué, plus cérébral, mais possède ce truc très subtil et assez imparable : il est né doté d'une aptitude à l'élégance décontractée per se, nimbé d'une fluidité ontologique tous terrains, là où Kennedy restait empreint d'un certain amidon wasp, une rigidité renforcée par des problèmes de dos qui lui faisaient régulièrement courber l'échine sinon garder le lit. Ça ne l'a pas empêché de faire du sport, d'être notamment le plus golfeur des présidents américains, suivi d'Eisenhower. Mais Obama aussi sait faire son trou  : s'il ne joue plus au basket alors qu'on a pu autrefois le voir mettre le ballon au panier avec le relâchement nécessaire que maîtrise l'habitué, «Potus» prête désormais son swag au swing. Et, même sur le green, il réussit à conserver l'avantage stylistique  : si on recommande toujours le pantalon plutôt que le coupe-pattes en tout genre, concédons qu'Obama fait partie des très rares humains à garder leur dignité en bermuda. D'ailleurs, on découvre à cette occasion une jambe bien faite, fine mais pas trop, avec cheville marquée et mollet galbé. Peut-être un bénéfice de ses quarante-cinq minutes d'exercice quotidiennes, dès potron-minet. «Pour moi, il est le premier président à avoir des hanches, pointe l'as du décryptage ès mode Loïc Prigent. Obama, il bouge, on l'a vu danser, alors que les autres, c'est des Playmobil.»

«Jamais kitsch»

Malgré la vigilance de la Maison Blanche, les paparazzi ont aussi réussi à immortaliser Obama top­less, en short de bain donc, à Hawaï où il passe régulièrement des vacances en famille  : autant dire qu’il s’en sort bien mieux que Richard Nixon, ou même que l’ex-jeune premier Ronald Reagan, une fois la cinquantaine venue. Sachant que notre président Poséidon émerge des flots (situation périlleuse s’il en est), sans se départir de son légendaire flegme, sans rentrer le ventre ni se la jouer Michael Phelps non plus.

Faut-il rappeler l'épisode embarrassant d'un président français joggant ostensiblement en tee-shirt NYPD  ? Ou encore la névrose ­homoérotique d'un Vladimir Poutine, dont les régulières sorties poitrail à l'air, à la campagne, à la chasse, à cheval, accréditent un symptôme d'onanisme nationaliste pathologique  ? C'est d'ailleurs symboliquement, voire géostratégiquement intéressant  : Barack Obama ne bombe pas le torse, ne fait pas rempart de son corps contre le reste du monde, il n'est pas dans ­l'affrontement, mais dans la fluidité – again. Obama est un ­compétiteur qui garde son sang-froid, dans l'esquive plus que l'assaut. S'il était boxeur, il serait Mohamed Ali (danseur) plutôt que Mike Tyson (puncheur). S'il était un végétal, il serait roseau (qui plie mais ne rompt pas) bien plus que chêne. Ne pas s'y tromper, ne pas conclure à l'humilité  : Barack Obama va jusqu'à se balader en tongs, sans crainte du ridicule donc, ce qui présuppose un ego bien arrimé, voire un éventuel doigt d'honneur (aux convenances). Constat de Loïc Prigent  : «Il n'est ­jamais kitsch, jamais ridicule, même en polo.»

«Mannequin cabine»

Cela dit, Potus numéro 44 peut paraître petit bras. Il mesure 1 mètre 86 et pèse 79 kilos  : avec de pareilles mensurations et sa silhouette qui n’a rien de balladurienne, il pourrait en matière de vestiaire tout se permettre. Au lieu de quoi, sa garde-robe s’avère tout ce qu’il y a de plus commun, classique et répétitive, c’est dire sa faculté à la transcender. Prenez son vestiaire corporate  : il est un habitué de Hart Schaffner Marx, tailleur de Chicago (ville du sénateur Obama) et plus grand fournisseur de costumes sur mesures des Etats-Unis. Plus exactement : Obama est abonné à un modèle (désormais appelé «le costume Obama»), qu’il varie à peine par la couleur (on reste dans les bleus et les gris). Avec 97 % de laine peignée et 3 % de cachemire, il allie une veste à deux boutons et des pantalons à un pli et un revers de 3 centimètres. Portée sur une chemise blanche, la cravate est, comme souvent chez les hommes de pouvoir, le rare viatique (avec les chaussettes) de fantaisie  : violine, rouge, bleu ciel, elle peut même se parer de pois ou de rayures.

Comme ses prédécesseurs à la Maison Blanche et des people type Leonardo ­DiCaprio, Obama se fournit aussi chez Martin Greenfield, qui s'extasie  : «Il est bâti comme un mannequin cabine, c'est un vrai plaisir de l'habiller.» Las, le résultat reste le même, rien de progressiste, à rebours de la diversification à l'œuvre dans la mode masculine ces trente dernières années. Seuls des détails quasi invisibles ont eu le feu vert du «Prez» : des coutures de couleur à l'intérieur des vestes, et des pantalons qui n'affichent pas forcément un pli –  parce que «mes filles disent que ça me donne l'air vieux et pas cool», explique-t-il. Wow, tu parles d'une fantaisie, on va l'envoyer faire un stage chez Paul Smith ou Ozwald Boateng –  et encore, on reste soft.

Michèle Obama, qui joue plutôt bien avec la mode, n'a pas voix au chapitre. C'est qu'il est volontairement clos, circonscrit, a expliqué le Président à Vanity Fair  : «Je ne veux pas avoir à prendre de décision sur ce que je porte ou mange. Parce que j'en ai déjà trop à prendre.» OK, message reçu cinq sur cinq  : «C'est bien joli tout ça, mais j'ai quand même un boulot à assurer, basta la fanfreluche. » Cela dit, avec son côté systématique, Obama rejoint du coup le camp des adeptes de l'uniforme quotidien, important dans la fashion. Il suppose un œil et une connaissance de soi constitutifs du style, ce graal qui peut relever de la course à l'échalote. Comme le rappelait récemment Chris­tophe Lemaire, directeur artistique d'Uniqlo, à Libération  : «S'habiller, se vêtir, ce n'est pas du tout une chose superficielle. Pour peu qu'on aille au-delà du déguisement, de la carapace sociale, […] c'est une quête de soi, un langage, […] c'est assez profond. Et à mon avis, les gens vraiment élégants sont ceux qui ont cette indépendance et cette compréhension de soi.»

«Président selfie»

Obama l'a, à l'évidence. Sans compter que quand tu es président, une sortie de route est vite arrivée. Il suffit d'enfiler un costume sable. C'était le 28 août 2014, lors d'une conférence de presse, et l'affaire a viré à la shitstorm, fausse bonne idée qui tourne à la catastrophe. «Faux pas», «égarement», «échec» : les réseaux sociaux, ces commères de l'an 2.0, ont évidemment surchauffé. Mais les médias traditionnels aussi, tel Time qui en a appelé à la clémence, concédant juste que la couleur ne se prêtait pas à la thématique «sombre» (les affaires ­étrangères)… Esquire, en revanche, a vécu un trauma. Le 28 août 2015, le mensuel masculin publiait un article (hilarant) intitulé «Il y a un an jour pour jour, Obama portait le pire costume des annales présidentielles».

Cela dit, l'Obama président tombe facilement la veste et la cravate, et roule volontiers les manches, pas otage du costard non plus. Il connaît même le friday wear, avec jean-chemise dans le Bureau ovale. L'image, pourtant anodine, renforce le capital «coolitude», confirme la piste «président moderne», et redore en sous-main le lustre des Etats-Unis réacs et bigots. Loïc Prigent  : «Avec Obama, l'antiaméricanisme est tombé à zéro, et il en est parfaitement ­conscient, il dit que Trump "fait du mal à la marque améri­caine", il parle en chef de produit, il est le mannequin de l'Amérique. C'est le président parfait de l'âge du selfie, t'as trop envie d'en faire un avec lui, alors qu'avec les autres, non merci.» Obama ou l'art de se tailler un costume sur mesure en modifiant à peine le patron mais en changeant l'étoffe, plus neuve, plus souple. Obama joue sur du velours, en somme.