Cet article a été publié fin octobre dans notre supplément «Obama Blues».
Un mètre quatre-vingts sous la toise, un port altier et un CV étincelant : des quartiers Sud de Chicago aux meilleurs cabinets d'avocats de la «ville venteuse», en passant par Princeton et Harvard, Michelle Robinson-Obama en a toujours imposé. Pendant la campagne de 2008, sa franchise décomplexée, ses soi-disant penchants «radicaux» ébouriffaient les tièdes et les racistes – on garde le souvenir de cette une du New Yorker caricaturant ces fantasmes en la représentant en militante Black Panther à afro… C'est finalement avec un verbe ultracalibré et rassembleur que la première Première Dame noire – et seulement la troisième à ce poste à être titulaire d'un master universitaire, on le dit moins – a traversé les deux mandats de son mari.
Si au moment de leur rencontre, à l’été 1990, Barack n’était que son stagiaire d’été, Michelle n’a pas cherché à instaurer une forme de coprésidence toute clintonienne une fois au pouvoir. Embrassant pleinement le rôle subalterne mais indispensable de First Lady maternante, sans sombrer dans l’apathie bienséante, cette femme puissante s’est attelée à donner le goût du brocoli et du footing à la jeunesse américaine menacée d’obésité, tout en pansant les plaies des familles de vétérans des guerres «bushiennes». Celle qui a toujours refusé de déléguer l’éducation de ses filles à une nanny, préférant installer sa mère à la Maison Blanche pour l’épauler, est devenue la mother de la nation américaine, charmée par la «coolitude» de son ultradiscipline mâtinée d’autodérision… Résultat : une popularité perpétuellement au beau fixe (tutoyant les 90 % d’opinions favorables à son zénith) et un Parti démocrate qui la rêve en candidate à une élection. L’intéressée, qui n’a que 52 ans, n’a jamais laissé transparaître pareille ambition.
Sourcils généralement arqués
Côté look, qu'elle a tonique, «Flotus» s'autorise à peu près tout, avec un penchant pour les robes à grandes fleurs et les coupes structurées, qui marquent notamment ses épaules et sa taille. Evidemment, elle privilégie les stylistes américains (dont sa chouchou d'origine cubaine, Isabel Toledo), mais elle pioche dans le réservoir européen et ne cède jamais au total look, ce faux pas majeur. Son accessoire principal : sa chevelure, qu'elle varie régulièrement, du lisse au wavy en passant par le chignon – seule l'afro est impensable, symboliquement trop politique. Mais l'accessoire est souvent très parlant. Son fameux passage à la frange, en janvier 2013 ? «C'est ma crise de la cinquantaine, avait-elle expliqué, cash comme à l'habitude. Je ne me suis pas acheté de voiture de sport, on ne me laisse pas sauter à l'élastique, donc voilà, j'ai fait une frange.»
L’Amérique s’est prise d’adoration pour cette franchise décapante, à ne pas prendre pour de la familiarité – les sourcils généralement arqués de la First Lady rappelant à la fois son rang et sa distance. En sus, en tant que descendante d’esclaves et fille de la working class (son père travaillait dans une station d’épuration), elle a offert au candidat Obama un ancrage indéfectible dans la communauté noire tout entière, au-delà de la «blackgeoisie» triomphante que le couple incarne. A l’aise à la tribune comme peu de ses prédécesseures (au point que Melania Trump la plagie pour tenter de lui succéder), Michelle Obama a su vendre la politique de son mari-président en la liant à leur histoire familiale, transcendant sans se renier tous les clivages imaginables (politiques, genrés, raciaux). Jusqu’à enlacer dernièrement, en public et très tendrement, le honni George W. Bush. Et personne (ou presque) n’y a trouvé quelque chose à redire. Trop forte, Michelle.