Cet article a été publié fin octobre dans notre supplément «Obama Blues».
Un président qui vient dérouler son bilan en musique, devant des millions de téléspectateurs, un public applaudissant à tout rompre et un présentateur acquis à sa cause. Vous n'êtes pas dans une dictature d'Asie centrale, mais sur le plateau du Tonight Show de Jimmy Fallon sur NBC, le late-night show (émission de troisième partie de soirée) le plus regardé des Etats-Unis. Avec, dans le rôle de l'autocrate-crooner, Barack Obama, venu en juin se prêter à une session de «slow jam the news» – les invités racontent l'actu en musique, «slow jams» désignant ces romantiques ballades r'n'b. Economie, santé, mariage gay, accord transpacifique… Les années Obama y passent en sept minutes, ponctuées de blagues de Fallon et soulignées par la mélodie sensuelle des Roots, le groupe résident du show. La vidéo a été vue 11 millions de fois sur YouTube.
Evidemment, le «Preezy of the United Steezy», comme l'appelle Jimmy Fallon, ne fait pas ça que pour s'amuser. En deux mandats, l'entertainer Obama s'est servi des shows comiques – lisant les «méchants tweets» à son encontre chez Jimmy Kimmel, remplaçant Stephen Colbert pour son Colbert Report sur Comedy Central – pour appuyer sa communication. Avec, dans le viseur, les jeunes, plus prompts à partager des vidéos marrantes qu'à écouter des longs discours.
Porte-à-porte virtuel
Fin 2013, le démarrage des plateformes en ligne de mutuelles privées, au cœur de l'Obamacare, son emblématique réforme de la santé, est catastrophique. Bugs, méfiance du public, peu d'inscrits… «Barry» prend alors sa perche à selfie de pèlerin. A coups de vidéos et de GIF sur Buzzfeed – Things Everybody Does But Doesn't Talk About («Les choses que tout le monde fait, mais dont personne ne parle»), 60 millions de vues –, ou lors d'une interview lunaire et hilarante à Between Two Ferns, le faux talk-show de Zach Galifianakis diffusé sur la plateforme Funny or Die, le commander-in-chief se plie à l'exercice pour promouvoir sa réforme. Au passage, il renforce sa street cred.
La présidence Obama a inventé une propagande branchée, une communication cool. Au cœur de cette stratégie : les réseaux sociaux, qui ont largement porté sa victoire en 2008. L'engagement numérique de la campagne du «Yes We Can» a d'ailleurs été décortiqué par les équipes de com du monde entier. Tandis que la droite américaine propageait son venin conspirationniste par de bonnes vieilles chaînes de mails – le candidat démocrate aurait menti sur son certificat de naissance, serait musulman… –, Obama prenait mille longueurs d'avance, touchant un public beaucoup plus large, plus jeune. «En 2008, les efforts de son adversaire, John McCain, pour tenter de le rattraper sur les réseaux sociaux étaient presque pathétiques», se souvient Michael Barris, coauteur de The Social Media President (Palgrave, 2013). L'équipe du sénateur de l'Illinois a compris l'intérêt de Facebook, de Twitter – plus tard viendront Instagram, Snapchat, LinkedIn… – pour lever des fonds, diffuser des messages, obtenir des soutiens, grâce à ce porte-à-porte virtuel d'un nouveau genre.
«Obama s'est fait élire sur des promesses de démocratie participative via les réseaux sociaux, rappelle Michael Barris. Mais finalement, les réseaux sociaux ont surtout été pour lui un formidable outil de diffusion, de validation par le public, et de promotion d'une image très positive : celle d'un président branché, connecté, proche des gens.» Viser un public, via le bon médium, avec le bon ton : huit ans que le président américain, avec son équipe de quatorze personnes dédiée à la stratégie numérique, montre sa maîtrise. Et son adaptation à l'évolution des usages. La Maison Blanche est devenue une véritable boîte de production, avec plus de 500 vidéos réalisées chaque année (infographies, coulisses…), distribuées sur les différentes plateformes (site officiel, YouTube, Facebook…). «Le premier président de l'ère des médias sociaux a fixé les règles d'interactions numériques entre politiques et électeurs, écrit le Washington Post. Certains chefs d'Etat se préoccupaient des chaînes d'info ; Obama est le président Netflix.»
«Un humour naturel»
Il use, sur Twitter comme dans les late-night shows, d'un humour contemporain, ultra-référencé, abreuvé de culture web et de culture populaire tout court. Pour le Washington Post, il est même le «premier président alt comedy», cette catégorie d'humour alternatif maniant l'ironie, centré sur soi. «Pour la plupart des chefs d'Etat, l'humour est considéré comme une marque de faiblesse, avance l'universitaire Arie Sover, qui dirige l'Israeli Society for Humor Studies. Il faut montrer qu'on est dur, qu'on ne plaisante pas. Vous avez déjà vu rire, même sourire, Erdogan ou Poutine ?»
A l'autre bout du spectre, Obama rit, montre ses émotions, fait des vannes questionnant son hétérosexualité – il raconte que son vice-président, Joe Biden, et lui sont «si proches» qu'ils ne pourraient pas aller dans une pizzeria de l'Indiana, en référence à un restaurant qui refusait ses services de traiteur pour les mariages gays. «Non seulement Obama a de l'humour, mais en plus c'est un humour naturel, spontané, décrit Arie Sover. L'humour en politique permet de toucher son public au cœur. Et Obama pratique l'autodérision, la forme la plus élevée d'humour.»
Mais le président américain ne laisse rien au hasard : cette spontanéité est surtout parfaitement chorégraphiée, écrite à l'avance par des équipes d'auteurs talentueux. D'autodérision, il en a beaucoup fait preuve lors du dîner annuel des correspondants à la Maison Blanche, véritable scène de stand-up pour le président sortant. Maîtrise des silences, des regards, intonations, vidéos bien ficelées… Ces soirs-là, Obama fait de l'humour une technique de dégoupillage imparable des critiques. Comme en 2011, alors que la droite le harcèle une nouvelle fois sur son certificat de naissance. Pour faire taire les rumeurs, il annonce la «diffusion exclusive de la vidéo de sa mise au monde» – en fait, le début du Roi Lion de Disney. Dans la salle, Donald Trump, déjà porte-voix de ces allégations, ne moufte pas. Les journalistes, qui rient à gorge déployée, ont laissé leurs armes au vestiaire.