Avec son décret «Protéger la nation contre l'entrée de terroristes étrangers aux Etats-Unis», repris partout sous le nom de «muslim ban» (exclusion des musulmans), Donald Trump a fermé la porte aux ressortissants de sept pays majoritairement musulmans, sous prétexte de sécurité nationale. Parmi ceux-ci, l'Iran, longtemps considéré comme l'un des ennemis jurés des Etats-Unis depuis la révolution de 1979. Un certain nombre d'opposants politiques iraniens, à l'image des parents de l'humoriste, acteur et réalisateur Kheiron (auteur d'un très beau film, Nous trois ou rien) ont alors fui le régime pour se rendre en France.
«Ce qui me sidère, c'est la faiblesse de la réponse politique des Européens, dénonce Pouria Amirshahi, député socialiste de la 9e circonscription des Français de l'étranger et détenteur des deux nationalités. Attention, car à force de ne pas être à la hauteur, on risque le déshonneur.» Le parlementaire réclame qu'avant même de négocier pour ses binationaux, l'Etat français offre d'accueillir, s'ils le souhaitent, les réfugiés ou détenteurs de visa qui auraient dû poser le pied aux Etats-Unis.
D'autant que, selon Pouria Amirshahi, «les faucons de l'administration Trump, encore plus conservateurs que Trump lui-même, voudront sans doute prolonger cette période de trois mois». Mardi, une source diplomatique du ministère des Affaires étrangères confirmait à Libération que des discussions sur cette question notamment, menées à l'échelle européenne, étaient en cours avec le département d'Etat américain.
Un foyer
Les Franco-iraniens et détenteurs des deux nationalités sont aujourd’hui mis au ban des Etats-Unis, terre d’accueil historique pour les réfugiés et opprimés de tous horizons. Certains le voyaient comme un recours éventuel, la suite du voyage. La déception est à la hauteur des espoirs longtemps suscités par cette terre de liberté de l’autre côté de l’océan Atlantique. Celle de Clancy est donc immense.
La jeune femme, née en Iran il y a 22 ans, est arrivée en France avec ses parents à l'âge de 3 ans. Ce devait être un simple arrêt sur le chemin entre Téhéran et les Etats-Unis. Mais sa famille s'est plu en France. Y a bâti un foyer, découvrant une terre plus tolérante que celle des ayatollah. Clancy, toutefois, voulait mener à terme le projet de ses parents. Voilà deux ans qu'elle économisait à cette fin. «On a été très heureux en France mais j'ai toujours voulu aller là-bas, aux Etats-Unis. C'est l'un de mes plus grands rêves. Pour moi, c'est le pays de tous les possibles. C'est un pays fier, grand et chargé d'histoire. Enfin, c'était. Car c'est vrai que l'idée que j'en avais a changé depuis samedi.»
Le «muslim ban» empêchera peut-être Clancy, s'il est prolongé, de rejoindre ses oncles et tantes installés en Californie sans passer par la case France. Beaucoup d'Iraniens s'y sont rendus à la révolution, «plutôt des sympathisants monarchistes, fortunés. Ce sont les gauchistes, les militants communistes, qui ont été en France», explique Bahar, journaliste franco-iranienne, dont la grand-mère habite à San Diego, Californie.
Une grand-mère à San Diego
«Ma grand-mère a 93 ans, elle ne peut pas prendre l'avion et nous rendre visite en France. Donc dès que j'ai un peu de fric, tous les ans ou tous les deux ans, j'essaie d'aller la voir. Là, ça fait déjà deux ans donc je comptais y aller bientôt. Vu son âge, si je n'ai pas le droit de la voir pendant toute la durée du mandat de Trump… c'est grave», lâche Bahar.
Ce ne sont donc pas que des hommes et des femmes que ce décret empêche d'accéder à leurs rêves ou d'échapper au danger, mais bien des familles qu'il déchire. Si Trump ne recule pas ou si le Quai d'Orsay ne parvient pas à obtenir le même type d'exemptions pour ses binationaux que le Royaume-Uni, le Canada ou l'Australie, Bahar envisage une ultime solution : «Ma grand-mère habite à San Diego, tout près de la frontière mexicaine. S'il le faut, j'irai à Tijuana, ville jumelle de l'autre côté du mur, et on s'y retrouvera. Encore faut-il que j'aie l'assurance qu'elle puisse retourner sur le sol américain ensuite.» «On bafoue nos droits», dénonce Clancy. «Je suis Française mais je n'ai plus les mêmes droits que les autres», renchérit Bahar.
«Accueillir Donald Trump»
Reste à comprendre ce repli sur soi trumpiste. «Les Américains sont idiots d'avoir voté pour quelqu'un comme ça, mais en même temps, je les vois comme des victimes, vous comprenez?», interroge Clancy. Une empathie que Farah, consultante franco-iranienne, déploie avec un sourire bienveillant : «Si je pouvais, j'irais les voir un à un pour leur expliquer leur erreur, car je suis persuadée que personne ne peut faire preuve d'autant de naïveté, d'ignorance et de méchanceté.»
Pour la jeune femme, le décret du président américain «assimile des peuples entiers aux fous extrémistes qu'ils tentent de fuir en quittant leur pays. J'aimerais accueillir Donald Trump et ses équipes à la maison pour leur montrer qu'on est pas des barbares et leur offrir une réplique de la plaque aposée au pied de la statue de la Liberté, sur laquelle est inscrite le poème d'accueil aux réfugiés de Sarah Lazarus. Et j'ajouterais ce mot sur une carte : "Dear trump, stop making America uglier".» («Cher Trump, arrêtez d'enlaidir l'Amérique»)
[Mise à jour : mardi 31 janvier à minuit : l'administration américaine a entre-temps décidé d'exempter des mesures de restriction tous les binationaux disposant d'un visa valide sur leur autre passeport. Voir notre article.]