«La nuit a été calme, comparé aux deux précédentes. Juste quelques bombardements ce matin…» Ce 1er février, le ton détaché de Konstantin Reutski n'a rien de cynique. Pour ce volontaire de l'ONG pro-ukrainienne Vostok-SOS, le plus dur de la bataille d'Avdiivka semble être passé. Les violences dans l'est de l'Ukraine sont, néanmoins, toujours à un point critique. La ville industrielle sous contrôle ukrainien est aux marges de la ligne de front, au nord du bastion séparatiste de Donetsk. Depuis le 29 janvier au matin, elle essuie un feu nourri d'artillerie lourde des forces prorusses et russes. Au moins neuf soldats ukrainiens ont été tués, une trentaine blessés. Le 1er février au matin, une civile a été tuée dans sa maison par ces «quelques bombardements», décrits par Konstantin Reutski. En représailles, des tirs ukrainiens sur des quartiers résidentiels de Donetsk ont aussi provoqué des pertes humaines, difficilement quantifiables côté séparatiste.
Encercler. Les duels d'artillerie sont quotidiens le long de la ligne de front, dans la guerre d'attrition qui meurtrit le Donbass, cette région minière de l'est de l'Ukraine, depuis le printemps 2014. Mais l'explosion de violences actuelle est inédite. Elle rappelle les sombres heures de l'hiver 2015, quand l'attaque massive de la ville de Debaltseve avait poussé Angela Merkel et François Hollande à obtenir de Vladimir Poutine et Petro Porochenko la signature du protocole de Minsk, le 11 février. Deux ans plus tard, le processus de paix est gelé, et la ligne de front s'embrase, du port de Marioupol aux banlieues de Donetsk.
Le chef d'observation de la mission de l'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE), Alexander Hug, note un «sentiment d'impunité» des belligérants dans l'utilisation d'armes lourdes. Les premières initiatives militaires ont été caractérisées par la stratégie «rampante» des forces ukrainiennes. Plusieurs unités ont pris le contrôle, sans coup férir, de localités situées dans la zone tampon, le long de la ligne de front. Les forces de Kiev ont donc réduit la distance entre les positions ennemies, et augmenté les risques d'affrontement.
A titre de justification, les soldats assurent vouloir mettre fin aux réseaux de contrebande qui caractérisent cette «zone grise», et sécuriser leurs positions. A Kiev, on explique aussi la manœuvre par la nécessité de reprendre l'initiative, dans le cas où l'administration Trump lâcherait l'Ukraine pour conforter sa relation avec Vladimir Poutine. L'explosion de violences des derniers jours est, elle, à l'initiative des forces prorusses et russes. Les attaques terrestres au sud d'Avdiivka, le long de la route E50, indiquent une volonté d'encercler la ville, et de faire bouger la ligne de front au profit de la République populaire autoproclamée de Donetsk. Avdiivka est particulièrement stratégique car elle abrite une des plus grandes usines de coke d'Europe.
Pour l’heure, ces attaques ont été repoussées par les troupes ukrainiennes. Mais le risque de futurs troubles persiste. Un récent rapport d’une mission conjointe d’observateurs ukrainiens, danois et canadiens fait état d’une large concentration de troupes et de matériel militaire en Russie, le long de la frontière ukrainienne. Malgré des preuves indiscutables, Moscou nie depuis 2014 son implication dans le conflit. Dans les médias et sur les réseaux sociaux, les théories sur l’explication des violences sont légion. Au-delà d’une simple conquête territoriale, le Kremlin aurait entrepris de tester la détermination de Donald Trump à poursuivre la politique de protection de l’Ukraine, et enverrait un message à l’Occident, alors que des manœuvres navales de l’Otan débutent en mer Noire.
Catastrophique. Pour la députée ukrainienne Victoria Voytsitska, du parti Samopomitch, le scénario serait bien plus catastrophique. Ce serait le début d'une nouvelle grande bataille visant à «contraindre l'Ukraine à accepter le scénario russe de paix, avec statut spécial, élections des séparatistes au Parlement à Kiev…» Ces dispositions, prévues par les accords de Minsk, sont perçues et présentées de manière très différente par Kiev et Moscou. Un changement de situation sur le terrain pourrait rebattre les cartes des négociations.
Dans l'immédiat, le risque d'un désastre humanitaire préoccupe les médias ukrainiens. Quelque 16 000 habitants d'Avdiivka se retrouvent sans eau, électricité ni chauffage, par des températures frôlant les -20 ° C. «La station d'épuration d'eau a été touchée», a confirmé le vice-gouverneur ukrainien de la région de Donetsk, Yevhen Vilinski. «Sans réparations rapides, les habitants d'Avdiivka et des villes environnantes se retrouveront sans eau ni chauffage». Depuis le 30 janvier, un ballet de convois du gouvernement ukrainien et d'ONG internationales approvisionne Avdiivka en nourriture et aides de première nécessité, telles que des couvertures ou des radiateurs d'appoint. A la faveur d'une trêve conclue entre les belligérants, le 1er février, des ingénieurs s'emploient dans l'urgence à réparer les infrastructures énergétiques. Un travail de Sisyphe, si les violences se poursuivent.