A chaque fois que le jeune rappeur Bello Figo, originaire du Ghana et immigré en Italie depuis dix ans, commence à chanter, les gens le regardent avec circonspection. Au micro, il déroule : «Je ne paye pas de loyer», «Je ne suis pas ouvrier», «Je ne me salis pas les mains : elles sont déjà noires.» Ou encore : «Mon pays n'est pas en guerre, je voulais seulement prendre des vacances.» De son vrai nom Paul Yeboah, 21 ans, il habite à Parme, dans le nord de l'Italie. Depuis 2011, il s'est fait connaître sur YouTube avec ses chansons, trash pour certaines, qui appartiennent au genre trap (un mélange de hip-hop, de dance et de dub). Une affaire de musique, jusqu'à ce qu'il décide de se servir des stéréotypes sur les immigrés dans ses textes.
Menaces de mort
Si son objectif est de faire de la provocation, certains l’ont pris au sérieux. Le mois dernier, Bello Figo a dû annuler cinq concerts suite à des intimidations de militants d’extrême droite. Il devait par exemple se produire à Mantoue pour le réveillon, mais les organisateurs ont reçu des menaces de mort et quelqu’un sur la page Facebook a promis d’incendier la salle. Même histoire à Rome début février : les membres d’Azione Frontale, un groupe néofasciste, ont mené une campagne contre l’événement, et ont réussi à faire annuler le concert. Mais Bello Figo (qu’on pourrait traduire par «super cool») a maintenant l’habitude des attaques quotidiennes : s’il a presque 200 000 likes sur Facebook, et des millions de vues sur ses vidéos, il reçoit chaque jour des dizaines d’insultes racistes sur les réseaux sociaux.
En 2016, 180 000 migrants ont débarqué en Italie, dix fois plus qu'en 2010, et les problèmes d'intégration divisent toujours plus la société. Dans une de ses chansons les plus connues, Io non pago affitto («Je ne paye pas de loyer»), Bello Figo choisit d'asséner les idées reçues sur les immigrés comme des vérités. Les attaques les plus fréquentes concernent l'argent qu'ils reçoivent chaque jour pour vivre, et les frais de l'Etat pour les héberger. Le rappeur s'en amuse : «Dès notre arrivée, on a reçu des maisons et des supervoitures. Je dors dans un hôtel 5 étoiles parce que je suis beau et riche. J'ai choisi l'Italie, mais ici à 7 heures du matin on ne me donne jamais des lasagnes, juste du lait avec des céréales, et moi je n'aime pas ça.» Et conclut : «Allez les gars, on va à la gare voler des vélos !» Après le succès de ce morceau, en novembre 2016, il a écrit un texte pour soutenir la réforme de la Constitution proposée par le Parti démocrate : «Moi et mes amis nègres voterons pour Matteo Renzi qui nous a promis des belles meufs.»
Cela a suffi pour créer la polémique sur la scène politique. Si la droite condamne ses chansons, la gauche a des difficultés à s’exprimer sur un sujet aussi délicat. Plusieurs attaquent aussi la vulgarité de ses compositions et l’emploi d’injures. Paul Yeboah agace rien que par sa présence. Mèche de couleur, il se présente sur scène ou face à la caméra habillé comme un rappeur américain, sans qu’on puisse jamais savoir s’il se moque d’eux ou s’il les admire. Bello Figo n’a jamais enregistré de disques, mais il a une liste fournie de vidéos sur sa chaîne YouTube. A ses débuts, en 2011, il se faisait appeler «Gucci boy», en référence à la marque. Qui n’a pas apprécié et lui a demandé de changer de nom dès qu’il est devenu plus connu. Le litige s’est réglé au tribunal.
«Un idiot qui se moque des Italiens»
Face aux attaques, il répond par le silence. Il n'aime pas parler aux journalistes et préfère s'adresser directement à ses fans sur les réseaux sociaux. Sa carrière a pris son envol après une invitation en décembre sur le plateau du programme télé Dalla vostra parte sur la chaîne numéro 4, au côté de la nièce de Benito Mussolini, Alessandra, eurodéputée d'extrême droite. Au cours du programme, elle a déclaré qu'il était «un idiot qui se moque des Italiens», et l'a exhorté à rentrer au Ghana. Bello Figo, qui chantait dans un de ses premiers titres qu'il était «beau comme Mussolini», n'a presque pas ouvert la bouche dans cette émission, ensuite vue des milliers de fois sur YouTube. Le rappeur, dans une rare interview, a expliqué qu'il chantait «pour faire de la provocation. J'essaye d'expliquer ma musique, mais à ceux qui refusent de m'écouter et qui m'attaquent seulement parce que je suis noir, je peux seulement leur souhaiter une bonne vie».