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Libération

Le passeport allemand, sésame anti-Brexit des juifs britanniques

Depuis le référendum sur la sortie de l’Union en juin, de plus en plus de descendants de personnes ayant fui le nazisme demandent la nationalité allemande outre-Manche.
La Loi fondamentale allemande autorise les descendants de tout Allemand qui aurait été déchu de sa nationalité en raison du régime nazi à déposer une demande de passeport allemand. (Photo Frank Rumpenhorst. EPA. MAXPPP)
publié le 21 février 2017 à 19h46

Il est né américain, a été naturalisé britannique il y a une vingtaine d’années et, depuis quelques semaines, il détient un passeport allemand. Son sésame, sa bouée de secours post-Brexit. Edward Hadas, 61 ans, est un descendant. Un parmi des centaines d’enfants, petits-enfants ou arrière-petits-enfants d’Allemands, juifs ou pas, réfugiés de l’Allemagne nazie, juste avant ou pendant la Seconde Guerre mondiale.

Aujourd’hui, alors que le Royaume-Uni se détache de l’Union européenne, ces descendants ont décidé de renouer avec leurs racines. Depuis le référendum du 23 juin et la décision des Britanniques de quitter l’UE, les demandes de passeport affluent auprès de l’ambassade d’Allemagne à Londres.

«Je ne savais même pas que c'était possible, confie Michael Newman, directeur de l'Association des réfugiés juifs (AJR) à Londres. Le lendemain du référendum, j'ai reçu l'appel d'un membre qui m'a demandé quelles étaient les modalités pour obtenir un passeport allemand, alors j'ai appelé l'ambassade.»

La Loi fondamentale, la constitution allemande, autorise les descendants de tout Allemand qui aurait été déchu de sa nationalité par le régime nazi à déposer une demande de passeport allemand. Les formalités sont relativement simples et l'ambassade apporte une aide significative aux recherches. Le ministère allemand des Affaires étrangères ne réalise pas de statistiques précises mais reconnaît une «augmentation considérable des demandes depuis le 24 juin». L'ambassade à Londres a traité en 2016 environ 650 dossiers, sans compter les demandes en cours d'examen, contre 25 par an les années précédentes.

«Réconciliation». L'AJR à Londres est née en 1941. «Au début de la guerre, tous les réfugiés ont été internés au Royaume-Uni pendant un an. A leur libération, ils ont créé l'AJR pour aider les réfugiés lors de leur arrivée», raconte Michael Newman. Paradoxe absolu, aujourd'hui, les conseils vont à ceux qui veulent renouer avec l'Allemagne. «La plupart de ceux qui se renseignent sont les deuxièmes ou troisièmes générations. Les plus âgés n'ont pas l'énergie ou l'envie de se lancer dans cette démarche, poursuit Newman. Pour les plus jeunes, l'idée de ne plus être européen est inconcevable.»

Lui-même a déposé une demande. «Pour beaucoup, c'est une forme de réconciliation avec leur histoire. Pour certains, c'est logique, pour d'autres, c'est un acte politique contre le gouvernement britannique, et parfois, c'est entre les deux, explique-t-il. Je me dis que si ma grand-mère était restée, s'il n'y avait pas eu les nazis, peut-être que mon père serait né en Allemagne et que je serais déjà allemand.»

Edward Hadas, journaliste économique, a reçu son passeport allemand en décembre. Il avait déposé sa demande en juin, juste avant le référendum : «C'est ma femme qui m'a poussé, elle a senti que le Brexit pouvait gagner.» La mère d'Edward était allemande et juive. Elle est arrivée à l'âge de 7 ans à New York, en 1938, où Edward est né presque vingt ans plus tard. «Il y avait à la maison une grande photo de la famille élargie, la moitié a disparu pendant la guerre, l'autre a émigré dans le monde entier, raconte-t-il. Ma mère avait une attitude très négative envers l'Allemagne, elle n'y est jamais retournée, il n'y a pas eu de réconciliation.» Ses grands-parents, en revanche, y sont retournés et ont même retrouvé des amis d'avant la guerre, d'avant l'exil, d'avant l'horreur.

«Grand projet». Edward Hadas a été élevé comme un «juif laïc» dans une famille d'intellectuels, raconte-t-il, puis, marié, il s'est converti au catholicisme. Jeune étudiant à Columbia, à New York, il découvre les classiques de la littérature. «Je me souviens, en lisant tous ces grands écrivains, je me disais : "Voilà, c'est ma culture. Je viens de là. L'Europe, c'est chez moi." Je l'ai senti alors, je le sens aujourd'hui. Je reste convaincu que l'Europe est l'un des plus grands projets de ce siècle.» Il rit, d'un rire un peu triste, «je suis l'un des rares qui pensent encore que l'Europe est formidable». Il se souvient de son émoi lors de l'intégration des anciens pays de l'Est à l'Union européenne, après la chute du mur de Berlin. «J'étais immensément fier. Je me suis dit "quelque chose de formidable est sorti de quelque chose de terrible".»

Le Brexit a représenté pour lui, qui vit à Londres depuis 1992, un choc : «J'étais devenu britannique pour être européen, pour voyager simplement.» Six mois après le dépôt de sa demande, il est allé retirer son passeport allemand. «J'étais fier, pour moi, sans aucun doute, c'est un peu boucler la boucle, c'est la réconciliation avec mon passé.»