En manque d'un adversaire politique de taille – les démocrates étant affaiblis par leur défaite aux élections de 2016 –, Donald Trump s'est tourné vers une autre «opposition» : les médias. Sa croisade contre ceux qu'il a appelés sur Twitter «les ennemis du peuple américain» n'a pas baissé de ferveur depuis son entrée à la Maison blanche, le 20 janvier. Au contraire. Son dernier fait d'armes : le président a annoncé, encore sur Twitter, qu'il ne se rendrait pas au célèbre dîner des correspondants de la Maison Blanche, le 29 avril. Un choix fortement symbolique.
«Les médias MENTEURS (le défaillant New York Times, NBCNews, ABC, CBS, CNN) ne sont pas mes ennemis, ils sont les ennemis du peuple américain!» — Donald J. Trump (@realDonaldTrump) 17 février 2017
Trois minutes d’humiliation…
Donald Trump a un lourd passé avec cet événement annuel. Organisée par l’Association des correspondants de la Maison Blanche, cette soirée avait pour but, initialement, de célébrer la liberté de la presse et de délivrer des bourses à hauteur de 100 000 dollars (95 000 euros) à des journalistes. Mais depuis quelques années, le dîner s’est transformé en événement mondain où journalistes côtoient célébrités et personnalités politiques sur lesquelles ils écrivent. La palme revient à celui qui fera le discours le plus drôle. Sous l’ère Obama, ces dîners constituaient une tribune de choix pour l’humour second degré du président d’alors. Donald Trump en a fait les frais à plusieurs reprises. Certains voient même, dans le dîner de 2011, le vrai déclencheur de la course à la Maison blanche pour le milliardaire.
A lire aussi Donald Trump, un président sorti de nulle part
Barack Obama avait alors passé une partie de son discours à attaquer Trump. Une vengeance contre le milliardaire qui avait régulièrement remis en question la nationalité du président en exercice, et donc sa légitimité à gouverner le pays. Après avoir été forcé à publier son acte de naissance, Obama n’a pas hésité à rabaisser l’homme d’affaires, sous les rires de la salle. Trois minutes d’humiliation que Trump n’aurait jamais oubliées.
«Personne n'est aussi fier que cette histoire de certificat de naissance s'arrête que Le Donald, avait lancé l'ex-président. C'est parce qu'il va enfin pouvoir se reconcentrer sur les vrais problèmes qui comptent comme : est-ce que nous avons simulé l'atterrissage sur la Lune ? Que s'est-il vraiment passé à Roswell ? Où sont vraiment Biggie et Tupac ?» Le comique Seth Meyers, scénariste pour l'émission Saturday Night Live, n'avait pas non plus laissé s'échapper l'opportunité de se moquer de l'homme d'affaires : «Donald Trump a dit qu'il comptait se présenter pour l'élection présidentielle en tant que républicain. Je pensais qu'il voulait se présenter en tant que grosse blague. […] Il a récemment dit qu'il avait de bonnes relations avec les Noirs. A moins que Noirs soient le nom d'une famille de Blancs, je pense qu'il fait erreur.» Le milliardaire, stoïque, n'avait pas apprécié.
Les mésaventures de Trump avec le dîner des correspondants ne s'arrêtent pas là. En 2013, le milliardaire a été hué à son arrivée. Trois ans plus tard, pour son dernier dîner en tant que président, Obama n'a pas manqué de lâcher, de nouveau, quelques piques contre Trump, alors candidat à l'investiture républicaine pour la présidentielle. S'étonnant que le milliardaire ne soit pas présent, Barack Obama a déclaré, au grand plaisir de la salle : «Qu'est-il en train de faire ? Est-il chez lui, en train de manger un Steak Trump, en tweetant des insultes à Angela Merkel ?»
…Et des médias «menteurs»
Pour l'édition 2017 du dîner, l'absence de Donald Trump est plutôt un soulagement pour tout le monde. Jeff Mason, le président de l'association qui organise l'événement, ne s'en est pas ému outre mesure. «[Nous prenons] note de l'annonce de Donald Trump sur Twitter, a-t-il déclaré dans un communiqué samedi. [Ce] dîner a été et continuera d'être une célébration du Premier amendement [qui garantit la liberté de la presse, ndlr] et du rôle important joué par des médias indépendants dans une République en bonne santé.»
A lire aussi : Immigration, «nouvel ordre mondial» et guerre contre les médias : Trump persiste et signe
Ce commentaire pourrait être vu comme une provocation alors que de nombreuses voix se sont fait entendre, ce week-end, pour dénoncer le comportement de la Maison Blanche envers certains journalistes. Vendredi, Sean Spicer, le porte-parole de l'administration Trump, a annulé sa conférence de presse quotidienne pour la remplacer par une rencontre, sans caméra, avec quelques journalistes triés sur le volet. CNN, Politico, le New York Times, le Los Angeles Times et Buzzfeed se sont vu fermer les portes de la Maison Blanche. L'agence AP et Time magazine ont refusé d'y aller par solidarité.
«Jamais une telle chose n'était arrivée à la Maison blanche dans notre longue couverture des multiples administrations des deux partis… L'accès libre des médias à un gouvernement transparent est, de toute évidence, crucial pour l'intérêt national.», a dénoncé dans un communiqué Dean Baquet, rédacteur en chef du New York Times.
Les critiques sont aussi venues du camp républicain. La semaine dernière, le sénateur John McCain avait affirmé : «Si vous voulez préserver la démocratie telle que nous la connaissons, vous devez avoir une presse libre, parfois critique. Sans cela, je crains que nous perdrions une grande partie de nos libertés individuelles. C'est ainsi que débutent les dictateurs.»
A lire aussi : Les plus gros bobards de l'administration Trump décryptés
Vendredi toujours, le Président a consacré une partie de son discours à la Conférence d'action politique conservatrice (CPAC) à malmener les médias et leurs «fake news» («fausses informations»). «Ils ne devraient pas être autorisés à utiliser des sources sans les citer. Le nom de leurs sources doit être publié», a protesté Trump, remettant ainsi en question un des principes fondateurs du journalisme, le droit à garder ses sources anonymes.
«Les médias MENTEURS ne disent pas sciemment la vérité. Un grand danger pour notre pays. Le défaillant New York Times est devenu une blague. Tout comme CNN. Triste!» — Donald J. Trump (@realDonaldTrump) 25 février 2017
Donald Trump sera donc le troisième président à ne pas se rendre au dîner des correspondants depuis sa création, en 1921. Jimmy Carter s'était excusé en 1978, se disant alors «exténué». En 1981, Ronald Reagan n'était pas venu en personne, mais avait fait quelques remarques par téléphone : il était alors à Camp David en rémission, après avoir échappé à une tentative d'assassinat lors de laquelle il avait reçu une balle dans le torse.