Chaque mois, Libération fait le point sur les histoires qui ont fait l'actualité des femmes, de leur santé, leurs libertés et leurs droits. Dix-huitième épisode : février 2017. Si vous avez manqué l'épisode précédent, il est ici (et tous les autres sont là).
Santé
Quand la santé des femmes est prise à la légère
Dans les médias, dans la presse, on parle de plus en plus souvent de sujets liés à la santé des femmes. L'épisiotomie, pratique qui consiste à couper pendant un accouchement une partie de la paroi vaginale pour permettre au bébé de passer plus facilement (et surtout à l'équipe médicale de faire son travail plus aisément), est ainsi de plus en plus critiquée comme un acte dispensable et néanmoins souvent imposé aux femmes. Les gynécologues qui traitent par-dessus la jambe (vous l'avez ?) les plaintes de leurs patientes sur leurs douleurs liées aux règles par exemple sont de plus en plus souvent épinglés. L'endométriose, maladie jusqu'à récemment peu connue et qui provoque d'intenses douleurs gynécologiques, est apparue sur le devant de la scène. Bref, en matière d'information comme de libération de la parole, des progrès sont faits chaque jour. Mais… lorsque l'on sort des sujets gynécologiques, ils se font moins sentir.
Deux articles, ce mois-ci, ont évoqué comment la santé des femmes était parfois prise plus à la légère que celle des hommes. Le journal suisse le Temps, d'abord, s'est penché sur la manière dont les médicaments étaient testés, après que plusieurs femmes médecins canadiennes ont signé une lettre ouverte aux chercheurs, leur demandant de mieux prendre en compte le sexe et le genre des personnes qui prennent part aux essais. Le journal explique que, s'ils affectent les hommes et les femmes de façon différente, ces dernières sont souvent exclues des essais médicamenteux. Résultat, on en sait moins sur la façon dont les molécules qu'ils contiennent affectent les femmes. «Mettre en exergue ces différences est d'autant plus important qu'elles s'avèrent parfois dangereuses, explique la journaliste. C'est le cas avec le somnifère Zolpidem, plus connu en Suisse sous l'appellation Stilnox. A dose égale, celui-ci agit plus longuement chez la plupart des femmes.» Un autre article à lire a été publié par The Atlantic (en anglais). Il explique, à travers le récit d'une soirée aux urgences, comment la douleur des femmes est moins prise au sérieux par le corps médical que celle des hommes. Comme si, bien sûr, les femmes étaient de telles chochottes que leur douleur, qui est pourtant un indicateur pour évaluer une situation, était forcément exagérée. Après tout, ce n'est pas comme si le corps de la plupart des femmes avait été conçu pour accoucher (et donc résister à un certain niveau de douleur)…
En février, on a aussi parlé de Gynopédia, une plateforme participative qui permet à tout le monde de collaborer en ligne au premier guide mondial de la santé des femmes ; on a évoqué le site IVG.net, tenu par des opposants au droit à l'avortement et qui incite les femmes à ne pas en user ; et on a aussi passé au crible une déclaration (tout à fait fausse) de Marion Maréchal-Le Pen sur l'avortement.
Genre, sexualités, et corps
La liberté sexuelle n’a pas de genre
C'est en résumé le propos d'une exposition, Le Quatrième Sexe. Indéfinition des genres, réaffirmation des plaisirs, qui s'est tenue en février dans une galerie parisienne. Les travaux de plusieurs artistes étaient rassemblés pour explorer le plaisir, et pas seulement dans le cadre du «simple» rapport sexuel. Dessins, sculptures, installations, vidéos, venaient interroger et développer cette notion, au-delà du pur érotisme. Si vous l'avez manquée, le site culturel Konbini en parle ici (avec force photos).
En février, on a aussi relayé un dossier de L'Equipe Magazine sur le tabou des règles dans le sport de haut niveau, chroniqué un ouvrage sur la figure de la prostituée dans la littérature du XIXe siècle et visité une exposition aux Arts décoratifs de Paris consacrés aux vêtements transgressifs (car trop couvrants ou pas assez, extravagants ou unisexes). On s'est aussi intéressé au phénomène body positive, qui promeut l'acceptation de sa silhouette et qui s'implante timidement en France, et on vous a parlé de Nina Léger, une romancière récompensé du prix Anaïs Nin pour son deuxième roman, «Mise en pièces», exploration moderne et esthétique de la sexualité féminine.
Sexisme «ordinaire»
Cinéma : les réalisatrices moins bien payées et invisibilisées
Scénarios et affiches stéréotypées, actrices moins bien rémunérées, réalisatrices trop rarement nommées et récompensées : on le sait, le cinéma est loin d'être un milieu égalitaire. Il suffit de réécouter le discours remarqué de Patricia Arquette aux oscars 2015 pour s'en convaincre. La question de l'égalité femmes-hommes dans le 7e art s'est de nouveau invitée dans le débat en février, en pleine période de distribution de statuettes (dont l'une a été remise, et on applaudit, à Houda Benyamina pour Divines, césar du meilleur premier film). Les critiques se sont cette fois cristallisées autour de la Cinémathèque. Déjà pointée du doigt en février 2016 par le collectif féministe La Barbe, l'institution parisienne a été épinglée pour ses choix de programmation loin d'être paritaires. Selon BuzzFeed, l'organisme n'a consacré que six rétrospectives (et aucune exposition) à des femmes réalisatrices depuis septembre 2005. Au total, sur 305 programmations, 22 programmations ont été consacrées à des femmes, contre 198 consacrées à des hommes, et 100 programmations thématiques. Le directeur de la Cinémathèque Frédéric Bonnaud a dénoncé «un mauvais procès», arguant que ces choix n'étaient «que le reflet de l'histoire du cinéma mondial, qui a été incroyablement machiste».
On a cru à un léger mieux à l'annonce de l'ouverture fin mars d'une rétrospective mettant à l'honneur Dorothy Arzner, figure de l'Hollywood des années 30. C'était sans compter sur le texte bien macho de présentation de la manifestation, accusé d'invisibiliser le genre et l'orientation sexuelle de la réalisatrice, lesbienne, pourtant indispensable pour comprendre son travail, à une époque où l'homosexualité était réprimée aux Etats-Unis, et les femmes réalisatrices rares. Aujourd'hui, elles sont plus nombreuses, mais le compte n'y est toujours pas. D'après une étude du CNC publiée en février, seulement 22% des films français sortis en salles entre 2011 et 2017 étaient réalisés par des femmes. Notons tout de même que nos voisins européens font pires, et qu'en dix ans, le nombre de réalisatrices a augmenté de 71 %. Côté rémunération en revanche, les réalisatrices sont payées en moyenne 42% de moins que leurs collègues masculins… Pendant ce temps-là, on apprenait en lisant le site spécialisé Deadline que les grands studios hollywoodiens étaient menacés de poursuite en justice pour avoir discriminé les réalisatrices dans leur processus de recrutement.
Violences
Espagne : féminicides, l’onde de choc
Elles étaient âgées de 34 à 91 ans. Cinq femmes sont mortes en l'espace de 72 heures fin février en Espagne, tuées par leur conjoint ou leur ex-conjoint. Au total, au moins 15 femmes sont mortes de cette façon depuis le 1er janvier dans le pays, le début d'année «le plus sanglant en matière de violence sexiste depuis que ces faits sont documentés», soit depuis 2003, selon le quotidien El Mundo cité par le site Les Nouvelles News. Une vague de violences machistes contre laquelle la presse espagnole s'est mobilisée, du quotidien ABC au 20 minutes espagnol, qui a cartographié ces meurtres, qualifiés d'«urgence nationale».
Cinco mujeres, asesinadas por sus parejas en 72 horas. Portada de ABC pic.twitter.com/gmLOcmlrtA
— Bieito Rubido (@bieitorubido) February 22, 2017
La recrudescence de cette violence endémique contre les femmes a aussi fait réagir la population : un millier de personnes se sont rassemblées le 22 février sur la Puerta del Sol à Madrid. Sur cette place campent depuis le début du mois des membres de l'association Ve-la luz. Parmi les revendications de l'association, qui lutte contre le «terrorisme machiste», l'adoption de la notion de «féminicide» (meurtre d'une femme en raison de son genre), inscrite dans le droit pénal de plusieurs pays sud-américains comme l'Argentine. Plusieurs ministres se sont réunis le lendemain, et ont annoncé la création de deux organes pour lutter contre la violence de genre, qui fait déjà l'objet d'une loi en 2004, mais peu appliquée. De notre côté des Pyrénées, des militantes féministes ont manifesté le jour de la Saint-Valentin à Paris pour dénoncer les violences conjugales Au 14 février, au moins 15 femmes avaient trouvé la mort en 2017 sous les coups de leur conjoint. Soit autant qu'en Espagne.
Droits civiques et libertés
Quand le gouvernement suédois trolle Donald Trump
Une belle brochette de trolls. Mais des trolls comme on aime, c'est-à-dire féministes. C'est ainsi que l'on pourrait qualifier le gouvernement suédois, qui s'est payé la tête de Donald Trump ce mois-ici. Après que le nouveau président américain est entré en fonction à la fin du mois de janvier, il s'est mis en scène signant ses premiers décrets, dans le bureau ovale, entouré d'une armada d'hommes. Aucune femme n'était présente à l'image, ce qui a agacé, d'autant que «The Donald» a notamment signé ce jour-là un texte restreignant le droit à l'avortement. Ni une ni deux, la ministre suédoise Isabella Lovin s'est faite photographier, entourée des membres féminins de son cabinet - dont une femme largement enceinte, en train de signer une proposition de loi. Et pour que le tacle soit complet, le texte en question portait sur le contrôle du réchauffement climatique (vous savez, cette invention chinoise, selon le milliardaire).
Compare and contrast: Trump restricts women's rights; Sweden's Isabella Lovin pushes world's most ambitious (?) climate law pic.twitter.com/1po54sDYsb
— Megan Darby (@climatemegan) February 3, 2017
En février, on a aussi évoqué Ikea, qui a provoqué l'indignation en publiant un catalogue sans femme destiné aux utra-religieux israéliens. Ce n'est pas la première fois : en 2012 en Arabie Saoudite, un prospectus dans lequel les femmes avaient été effacées, avait fait mauvaise presse au géant suédois du meuble en kit.
Travail
La manutention et le travail nocturne pourraient avoir une mauvaise influence sur la fertilité
Mauvaise nouvelle pour les femmes qui travaillent de nuit et qui ont un emploi où elles doivent porter et déplacer des charges plus ou moins lourdes : leur fertilité peut en être affectée. On savait déjà que travailler en horaires décalés, chez les hommes comme les femmes, augmentait le risque de crise cardiaque et de mortalité. Mais cette nouvelle étude, américaine et relevée par 8e étage, montre que les femmes risquent également de moins produire d'ovules. Celles qui ont participé à l'étude étaient toutes clientes d'une clinique de fertilité, ce qui peut modifier la lecture des résultats, est-il précisé. «Une équipe américaine de scientifiques a passé au crible les données de près de 400 femmes, dont l'âge moyen est de 35 ans, traitées dans une clinique de fertilité du Massachusetts, ainsi que le rapporte un récent article du "South China Morning Post". Ils ont découvert que celles de ces femmes qui n'ont pas d'horaires de travail réguliers ou doivent faire d'importants efforts physiques produisent, en moyenne, un nombre moins important d'ovules matures que les autres.», indique 8e étage.
Une fois n'est pas coutume, on va relayer un deuxième sujet dans la catégorie travail. Il s'agit de l'inégalité salariale entre les hommes et les femmes, que le Parti socialiste belge a décidé d'attaquer dans une campagne bien faite et totalement absurde. Elle met en scène un père de famille qui réalise, en regardant la télé, que les hommes et les femmes ne sont pas payés de la même manière et qui décide, pour éviter que sa fille n'ait un salaire et sans doute une retraite pourris plus tard, de lui faire arrêter l'école pour l'envoyer travailler à 9 ans. Malin.
Famille, vie privée
Les congés maternité et paternité auraient pu être allongés (mais finalement non)
Au début du mois, l'Assemblée nationale a adopté, en première lecture, un texte proposé par le Front de gauche et présenté par la députée de Seine-Saint-Denis Marie-George Buffet (PCF) qui proposait de porter la durée du congé maternité de 16 à 18 semaines, et celle du congé paternité de 11 à 14 jours (le texte initial était plus ambitieux, avec quatre semaines pour les pères, mais un amendement socialiste l'a réduit à deux). Ce qui aurait pu être de bonnes nouvelles, si la session parlementaire ne s'était pas arrêtée à la fin du mois de février, avant que le texte ne soit revu en deuxième lecture, à la demande du gouvernement qui en jugeait le coût (de l'ordre de 280 millions d'euros) trop important. Résultat, le texte n'a pas été définitivement voté, et ne sera donc pas applicable en l'état…
Néanmoins, la situation des parents français est préférable à celle de nombreux futurs parents, comme le montre cette (amusante) campagne militant pour des congés maternité pris en charge par la société, ce qui est loin d’être le cas partout dans le monde. Elle met en scène une femme enceinte qui refuse d’accoucher tout de suite parce qu’elle n’a pas assez de congés de côté. Elle reste donc enceinte pendant… cinq ans.
En février, on a aussi rencontré des femmes françaises, célibataires ou homosexuelles en couple, qui se rendaient à Barcelone pour se faire inséminer artificiellement, ce qui leur est pour l'instant interdit en France. Et on vous a parlé du film Noces, qui parle de mariage forcé.
Education
Des outils pédagogiques pour lutter contre le sexisme à l’école
Fin janvier, une étude publiée dans le magazine américain Science et réalisée sur 400 enfants arrivait à la conclusion (effarante) suivante : les filles se considèrent moins brillantes que les garçons dès l'âge de 6 ans, soit l'équivalent du CP dans nos contrées. Problème, en France, les enseignants ont peu de ressources pour sensibiliser leurs élèves aux inégalités. Matilda, une plateforme pédagogique collaborative lancée début février, propose de mettre à leur portée des vidéos sur l'égalité filles-garçons. Le nom de ce site, financé en partie par le ministère de l'Éducation nationale est «un clin d'œil à l'"effet Matilda", du nom de la militante féministe américaine Matilda Joslyn Gage, qui a mis en lumière, à la fin du XIXe siècle, le déni ou la minimisation systématique de la contribution des femmes à la recherche», explique au site spécialisé Educpros.fr Barbara Wolman, une des co-créatrices de la plateforme, conçue en partenariat avec plusieurs associations.
Parmi les 80 ressources éducatives disponibles, classées par thématiques (histoire, sciences, arts, éducation à la sexualité…) ou par niveaux (du primaire au post-bac), des vidéos sur des thèmes aussi variés que l'égalité dans l'espace public, les noms de métiers, les femmes tondues à la libération ou encore les tests de féminité dans le sport. Sur inscription (gratuite), les enseignants peuvent aussi échanger sur un forum dédié et publier les éventuelles réalisations de leurs élèves. Une section pour l'instant vide, la plateforme étant pensée comme un espace collaboratif qui s'alimentera au fur et à mesure grâce aux profs et à leurs classes.
En février, on s'est aussi interrogé sur l'auteur d'un livret anti-IVG distribué dans un lycée de Neuilly, et relayé une étude du Haut Conseil à l'égalité sur la formation des enseignants aux inégalités.
Sélection mensuelle de choses lues, vues et entendues ailleurs que dans «Libé»
• La formulation a fait son apparition pour la première fois en 2012. Acrimed revient dans un long article sur la façon dont les médias au sens large (des réseaux sociaux à la presse écrite) ont participé à diffuser et légitimer dans le débat public le «harcèlement de rue». C'est à lire ici.
• A écouter, ce reportage de la RTBF sur Malte, pays à la législation la plus restrictive de l'UE en matière d'IVG. Les femmes qui mettent un terme à leur grossesse encourent jusqu'à 3 années de prison, y-compris en cas de viol.
• Parce que les restaurants de la capitale afghane, à la clientèle essentiellement masculine, ne sont pas considérés comme des lieux sûrs par les femmes, un restaurant 100% féminin a ouvert ses portes en septembre dernier à Kaboul. Les hommes ne peuvent manger dans ce lieu que s'ils sont accompagnés de femmes, explique dans un long format (en anglais) le site Eater.
• Le court-métrage Je suis ordinaire, écrit et joué par Chloé Fontaine et réalisé par Victor Habchy, relayé par le site des Inrocks, met en scène la réalité et la banalité du viol conjugal, alors que, contrairement aux idées reçues, près d'un tiers des viols ou des tentatives de viols sont le fait des conjoints des victimes.
• Si vous avez 1 minute et 15 secondes devant vous, direction le site d'Arte pour regarder cette petite vidéo instructive sur le genre. A mettre entre toutes les mains.