Des Indiens qui dialoguent avec des singes et attirent les esprits grâce à des cris d’oiseaux… Anthropologue du monde sonore, Andrea-Luz Gutierrez Choquevilca est maître de conférences à l’Ecole pratique des hautes études. Elle mène de fascinantes recherches dans les basses terres de l’Amazonie.
Les Indiens d’Amazonie communiquent avec les animaux…
Depuis une quinzaine d’années, plusieurs fois par an, je me rends dans cette région, peuplée de Quechuas et d’Achuars à la frontière du Pérou et de l’Equateur, sur le fleuve Pastaza, un affluent du Marañon qui forme l’Amazone. C’est une zone d’épaisses forêts tropicales, dense et isolée. Les populations locales vivent de chasse, d’horticulture, de pêche. Au départ, quand je suis arrivée, je voulais analyser la manière dont les humains communiquent entre eux mais en arrivant sur le terrain, j’ai été étonnée et fascinée par la façon dont ils dialoguaient avec les animaux, les oiseaux et les singes notamment, mais aussi avec tout un monde non humain : tous ces êtres qui peuplent la forêt à leurs yeux.
A quel moment précis et de quelle façon dialoguent-ils avec les animaux ?
Ils communiquent pour chasser, imitant la voix du gibier. Par exemple, lors d’une chasse collective, lorsqu’un toucan passe, tous les hommes se mettent à imiter son chant. Ils savent comment faire passer des états émotionnels : mélancolie, tendresse, tristesse… Ils peuvent reproduire le son d’un petit effarouché pour attirer les femelles. Mais ils sont aussi capables de percevoir la peur chez les oiseaux, et de les rassurer en chantant ou en leur indiquant la présence de nourriture. Les oiseaux répondent, et la discussion peut s’étaler sur une dizaine de minutes.
Il y a donc ces moments de chasse et de dialogue, mais il y a également des épisodes de rituels ?
Nous sommes en effet dans une société animiste où les humains attribuent à certains non-humains une forme d’intentionnalité, une capacité à interagir et communiquer. Ainsi le chaman soigne, attire ou éloigne les mauvais esprits grâce aux plantes et à des chants qui empruntent au langage des oiseaux et à celui d’autres espèces animales. La plupart des énoncés sont assez obscurs, émaillés de métaphores, d’icônes sonores, d’onomatopées. J’essaye d’analyser cette matière, de comprendre comment cette langue secrète fonctionne et quelle est sa grammaire.