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Libération
Interview

Décharge meurtrière d'Addis-Abeba : «une catastrophe annoncée»

Bezunesh Tamru, géographe spécialiste de l’Afrique de l’Est et professeure à l'université Paris 8, explique comment les autorités en rouvrant un lieu déjà saturé d'ordures ont créé les conditions du drame qui a fait 110 morts samedi.
Des sauveteurs tentent de déblayer les décombres du glissement de terrain survenu dans une décharge d'Addis Abeba, le 13 mars. (Photo Tiksa Negeri. REUTERS)
par Volodia Petropavlovsky
publié le 15 mars 2017 à 19h32

Le bilan humain s’est alourdi après l’éboulement d’ordures survenu samedi soir dans la plus grande décharge d’Éthiopie, en périphérie de la capitale, Addis-Abeba. La catastrophe a fait plus de 110 morts. Bezunesh Tamru, géographe spécialiste de l’Afrique de l’Est et professeure à l’université Paris-VIII, revient sur les causes de ce drame.

Qui sont les personnes touchées ?

Ce sont les populations les plus défavorisées, celles qui ne peuvent pas s’installer ailleurs. Dans cet endroit, on trouve des chiffonniers qui récupèrent le plastique ou la ferraille. Ils vivent parfois avec leurs familles et leurs enfants sur la décharge. Il y a toute une division du travail qui se fait sous le contrôle d’un certain nombre de chefs de gangs. Pour la ville, officiellement, ces gens n’existent pas. D’ailleurs, la plupart des habitants d’Addis-Abeda les ont découverts en même temps que la presse internationale, et ont été horrifiés par la catastrophe.

Comment expliquer cette situation ?

Jusqu'aux années 1990, quand la dictature militaire était au pouvoir, ces populations étaient expulsées. Le gouvernement actuel a levé le pied, même s'il continue à mener des opérations de déguerpissement. Le problème, c'est que cette décharge aurait dû être fermée au profit d'un nouvel endroit au nord de la capitale. Mais avec les contestations entre Addis-Abeba et les Oromo cet été [des émeutes du peuple Oromo, environ 35% de la population, pour protester contre le verrouillage des pouvoirs et l'accaparement des terres, réprimées par le pouvoir, ndlr] les camions n'ont pas pu y aller. La ville croulait sous les ordures en juillet, il y a même eu des cas de choléra. On a alors rouvert une décharge saturée. C'était une catastrophe annoncée.

Le problème n’est-il pas plus profond ?

Addis-Abeda a été construite au XIXsiècle sur un schéma de ségrégation sociale et elle a continué à se développer de cette façon. Les différentes classes sociales vivent à proximité mais ne se mélangent pas. Il y aura toujours une population pauvre et un problème de chômage global. Actuellement, il n'y a plus de terres pour construire. L'Etat, qui est propriétaire du sol en Ethiopie, attribue des logements collectifs. Mais seules les classes aisées peuvent se les offrir. La situation va donc perdurer pour les plus pauvres. Ce n'est pas une fatalité, les solutions peuvent être apportées par un meilleur urbanisme, par exemple avec la construction de la nouvelle décharge et la création d'une usine de transformation des déchets qui offrirait des emplois à ces damnés. Mais le gouvernement actuel doit aussi trouver une solution politique à la crise. On est dans un pays qui a une croissance à deux chiffres, mais l'envers du décor, c'est aussi 110 personnes qui meurent sous une décharge.