Le béton n’a pas fini de couler en mer de Chine méridionale. Ce week-end, un officiel chinois a révélé que la Chine compte bâtir une «station météo» sur l‘atoll de Scarborough, situé à 230 km des côtes philippines, qu’elle s'était accaparé en 2012. Une avancée politique symbolique pour Pékin, mais aussi la crainte de nouveaux désastres environnementaux dans un des écosystèmes les plus riches du monde. Saisie par l’ex-gouvernement philippin en juillet 2013, la Cour permanente d’arbitrage avait condamné les appétits chinois sur la quasi-totalité de cette mer dans son verdict en juillet dernier, et dénoncé le «manquement de la Chine à ses obligations de préserver et protéger les écosystèmes délicats ainsi que l’habitat des espèces en régression, menacées ou en voie d’extinction.» Si tous les pays riverains de la mer de Chine méridionale (Taïwan, Philippines, Vietnam…) essaient de marquer leur territoire sur ces eaux très poissonneuses et les sous-sols riches en hydrocarbures, les travaux chinois sont de très loin les plus massifs.
Pour les riverains de l’Atlantique et de la mer du Nord, il peut être difficile de saisir l’importance des récifs coralliens des mers chaudes. Ben Carroll, un biologiste australien, compare leur rôle à celui des «forêts en Europe. Si les coraux meurent, l'économie, les modes de vie, les paysages et la chaîne alimentaire sont modifiés». En quelques années, les travaux colossaux menés pour bâtir des ports et des pistes d’atterrissage dans les Spratleys et les Paracels ont transformé les fonds multicolores en un sol gris jonché de débris, déserté par les animaux. Reinhard Drifte, chercheur spécialisé sur les questions maritimes à l’Université de Newcastle, déplore que «les dégâts écologiques et leurs conséquences catastrophiques pour les pays littoraux sont un aspect très négligé du conflit en mer de Chine méridionale».
Brouillard et pelleteuses
«Oasis au milieu de l’océan, ces archipels sont des lieux de reproduction et des nurseries pour au moins 400 différentes espèces connues de poissons. Les pêches côtières des pays avoisinants vont être inévitablement affectées», explique Yves Henocque, correspondant Asie-Pacifique pour l’Ifremer. Les dragues utilisées pour la construction d'îles artificielles ou l’agrandissement des îlots existants cassent les récifs coralliens avec tout ce qui leur est attaché (mollusques, herbes, etc.) Compacté, ce substrat sert de matériau de construction. Même le brouillard de sédiments créé par les pelleteuses menace les fragments de corail survivants et la végétation qui ont besoin de la lumière du soleil.
Le biologiste marin John McManus, qui étudie les coraux du Pacifique depuis trente ans, a commenté ainsi sa visite de deux jours dans les Spratleys en juillet 2015 : «C’est une dévastation. C’est la pire chose qui soit arrivée à des récifs de coraux de notre vivant.» Et les travaux, menés tambour battant, ont redoublé d’intensité depuis. Yves Henocque rappelle que «le gouvernement des Philippines estime, par exemple, que l’archipel des Spratleys procure au pays environ 100 millions d’euros de revenus par pêche. C’est probablement plusieurs multiples de ce chiffre qu’il faut envisager au niveau régional et sur le long terme. Par ailleurs, l’installation de colonies sur les îles artificielles va générer des activités quotidiennes comme l’ancrage, la pollution, et une pêche intense.» Le braconnage est déjà incontrôlé, favorisé par les conflits politiques. Or, selon le Japan Times, «environ 300 millions de personnes dépendent des ressources marines de la mer de Chine méridionale pour subsister».
Tortues et bénitiers
La Convention sur le droit de la mer, signée à Montego Bay en 1982, exige pourtant que tout pays qui pratique des travaux d’aménagement en mer protège le milieu marin et les ressources des pays avoisinants. Or Pékin laisse les pêcheurs chinois chasser à grande échelle des tortues et des palourdes géantes menacées d’extinction. Le prix des coraux rouges a été multiplié par trois en dix ans sur les marchés chinois. Les plus belles pièces de bénitiers, ces grands coquillages parfois vieux d’un siècle prisés par l’artisanat, peuvent se négocier 1 000 euros au marché noir. Dans une vidéo de la BBC, tournée l’an dernier, on voit des pêcheurs décoller avec leurs hélices les coquillages sans se soucier de réduire en miettes les fonds sous-marins dans les zones de pêche historique des Philippins. L’usage d’explosifs a aussi été rapporté.
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Face aux critiques des scientifiques, Pékin vante les «paradis» créés par ses activités qui auraient développé la faune et la flore. Pourtant, le Global Times, organe du Parti communiste chinois, s’est déjà ému du problème. Dans un article paru en 2016, le directeur adjoint de l’administration océanique d’Etat affirmait : «La Chine a perdu 80% de ses récifs coralliens depuis les années 70. Les coraux locaux, les mangroves et les algues ne sont pas en bonne santé, et le braconnage des coraux pourrait mettre en péril l’existence de récifs et îlots. La situation est grave.» Un ingénieur chinois retraité mettait en doute, de son côté, l’efficacité de la reconstruction artificielle de récifs coralliens, promise par le gouvernement à l’issue des travaux : «C’est un processus long et difficile, les coraux doivent être transplantés à la main, soit sur les récifs coralliens restants, soit sur les roches dénudées sous l’eau. Or tous les récifs de la mer de Chine méridionale se sont formés au fil des siècles grâce aux coraux. Leur perte met les récifs existants sous la menace directe des vagues et des typhons, menaçant à long terme leur existence même.» Car les eaux turquoise de la mer de Chine sont sujettes à de terribles tempêtes, qui pourraient balayer les travaux titanesques entrepris sur ses frêles atolls.
La vidéo de la BBC est à voir ici (en anglais)
L’article du Global Times est à lire ici (en anglais)