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Disparition

Martin McGuinness, du «seigneur de guerre» à l'artisan de la paix

L'ex-homme fort de l'IRA et ancien vice-Premier ministre d'Irlande du Nord, qui a été l'un des plus fervents partisans d'une solution pacifique, est mort ce mardi. Il avait 66 ans.
Martin McGuinness, alors négociateur pour Sinn Féin, lors d'une conférence de presse, le 26 février 1998. (AFP)
publié le 21 mars 2017 à 15h54

Ange ou démon ? Meurtrier sans états d'âme ou homme de paix providentiel ? L'éventail des réactions à la mort de Martin McGuinness illustre la trajectoire extraordinaire de ce gamin de Derry, en Irlande du Nord. Plongé à un âge tendre dans le maelström politique de cette région rude et complexe, Martin McGuinness aura été tout à la fois l'un des hommes forts de l'Armée républicaine irlandaise (IRA) et l'un des artisans essentiels de la paix. «Il n'a jamais changé, sa détermination est toujours restée la même. Simplement, il a un jour transféré cette détermination au service de la paix», a souligné l'ancien Premier ministre Tony Blair, avec lequel il a âprement négocié l'accord de paix finalement signé le 10 avril 1998.

Martin McGuinness est mort dans la nuit de lundi à mardi dans un hôpital de Derry, où il était né il y a soixante-six ans. Il souffrait d'une rare maladie génétique, l'amyloïdose, qui provoque une accumulation anormale de protéines dans le corps. Il avait démissionné en janvier de son poste de vice-Premier ministre du gouvernement semi-autonome d'Irlande du Nord et annoncé qu'il ne se représenterait pas aux élections.

Apartheid social

Né dans une famille catholique très modeste de Derry, James Martin Pacelli McGuinness a passé son enfance dans une petite maison de deux pièces, qu'il partageait avec ses parents, ses cinq frères et une sœur. A l'âge de 11 ans, il échoue à l'examen d'entrée en école secondaire. Il deviendra apprenti boucher. Lorsqu'il prendra les responsabilités de l'éducation en Irlande du Nord, il abolira cet examen. «Aucun système d'éducation n'a le droit de dire à un enfant de 10 ou 11 ans qu'il est un raté», dira-t-il alors.

Il grandit dans une région déchirée et bouleversée, où deux communautés ne se croisent pas. Ou qui, lorsqu’elles se croisent, s’affrontent violemment. Les catholiques nationalistes d’un côté, souvent très pauvres, marginalisés, revendiquent leur rattachement à la République d’Irlande. Les protestants unionistes veulent, eux, rester fidèles à la couronne britannique. L’incompréhension et le ressentiment battent leur plein dans les années 70. Ces trente années de Troubles ont tué plus de 3 000 personnes.

«Bloody Sunday»

Le 30 janvier 1972, Martin McGuinness est dans les rues de Derry, lors du «Bloody Sunday». A 21 ans, il est le commandant en second de l'IRA à Derry. Quatorze civils, présents à une manifestation, sont tués par balles par des soldats britanniques. Un an plus tard, McGuinness effectue son premier séjour en prison. Les attentats de l'IRA se multiplient et Martin McGuinness devient l'un des dirigeants de l'organisation paramilitaire.

Le 12 octobre 1984, une bombe explose dans l'hôtel où se trouvaient la Première ministre Margaret Thatcher et son entourage. Cinq personnes sont tuées. Le conservateur Lord Norman Tebbit est blessé, son épouse restera paralysée. «Le monde a aujourd'hui meilleur goût», a-t-il réagi à l'annonce du décès de Martin McGuinness. Jo Berry, dont le père fut tué dans l'attentat, a immédiatement répliqué : «Lord Tebbit ne parle pas pour tous. Je salue la valeur de Martin McGuinness comme un exemple inspirant de paix et de réconciliation.» Parce que dès 1972, et au début dans un absolu secret, Martin McGuinness est impliqué dans des négociations de paix. En 1997, après l'élection de Tony Blair, il devient ouvertement l'un des principaux négociateurs, au côté de Gerry Adams, à la tête du mouvement nationaliste Sinn Féin.

«Sales boulots»

«Sans McGuinness, Gerry Adams n'aurait jamais pu conclure la paix, il aurait été incapable de convaincre les "hommes durs" du mouvement républicain», analyse pour Libération Ed Moloney, expert en histoire des Troubles et auteur, entre autres, d'un remarquable ouvrage, l'Histoire secrète de l'IRA«Gerry Adams était un brillant politicien et stratège. Il était plus comme un général de la Première Guerre mondiale, à diriger les opérations depuis le fauteuil d'un bureau », ajoute-t-il. Martin McGuinness au contraire était un «acteur impliqué», qui a «accompli de sales boulots», a tenu des armes, a tiré. «Du coup, au sein du mouvement républicain, il était beaucoup plus respecté. C'est là sa principale, sa cruciale contribution au processus de paix. Paradoxalement, c'est parce qu'il était un "seigneur de guerre" qu'il a facilité la paix.»

Dans cette paix, comme dans la guerre, c'est lui qui se frottera le plus aux réalités, en devenant en 2007 vice-Premier ministre à l'assemblée de Stormont, en travaillant aux côtés des unionistes, ses ennemis d'hier. Gerry Adams préférera la politique en République d'Irlande, nettement plus paisible. A la surprise générale, au gouvernement nord-irlandais, il noue avec son ancien ennemi juré, le dirigeant unioniste et pasteur protestant Ian Paisley, une sincère amitié, partageant en public des fous rires – une image un peu surréaliste. Les deux hommes parlent échecs, pêche à la mouche, poésie.

«Je suis toujours vivante»

En 2012, il franchit le Rubicon et serre la main de la reine Elizabeth II, en visite à Belfast. Le symbole est monumental. Le cousin de la reine, Lord Mountbatten, a été tué en 1979 dans un attentat de l'IRA. Martin McGuinness était alors le chef du recrutement de l'organisation terroriste. En juin 2016, ils se revoient. Martin McGuinness demande à la souveraine : «Vous allez bien ?» Pince-sans-rire, Elizabeth II lui répond : «Et bien, je suis toujours vivante.» La route vers la paix aura été longue.

«Ce n'est pas la manière dont vous commencez votre vie qui est importante, mais bien comment vous la terminez», lui a rendu hommage le député unioniste Ian Paisley Jr, fils de l'ancien Premier ministre d'Irlande du Nord, décédé en 2014. «Son parcours a été remarquable.»