Lorsqu’il s’est ouvert, en mai 2016, il était annoncé comme historique. Pour la première fois en Côte-d’Ivoire, un procès pour crimes contre l’humanité était organisé. Sur le banc des accusés, l’ancienne première dame Simone Gbagbo a alors pris place. Elle est soupçonnée d’avoir commandité des crimes pendant la crise post-électorale de 2010-2011 afin de maintenir son mari, Laurent Gbagbo, au pouvoir. Six ans après, les audiences devaient faire la lumière sur ces mois sombres qui, selon les Nations unies, ont fait au moins 3 000 morts. Ce procès était un immense défi. Il risque bien d’être un rendez-vous manqué.
Loin de l’effervescence des débuts, semaine après semaine, la salle de la cour d’assises du tribunal s’est peu à peu vidée. Le public s’est semble-t-il lassé des innombrables reports et suspensions d’audience. Il s’est désintéressé des batailles techniques, devenues plus fréquentes que celles sur le fond du dossier. La décision de Simone Gbagbo et de sa défense de boycotter la fin des audiences a achevé de détourner l’attention. C’est ainsi en l’absence de l’accusée que le verdict doit être rendu ce mardi matin.
«La justice n'a pas été à la hauteur des espoirs des Ivoiriens, regrette Yacouba Doumbia, le président du Mouvement ivoirien des droits humains. Tout cela dénote l'impréparation de ce dossier. Malheureusement, ce procès nous donne raison : on se dirige vers un désastre judiciaire.» Peu avant son ouverture, dénonçant «son organisation à la va-vite», plusieurs organisations des droits de l'homme, parties civiles, avaient en effet décidé de se retirer.
«Condamnez-moi mais arrêtez de me fatiguer»
Devant le juge, le dossier d'instruction n'était pas très épais. Manque d'éléments formels, témoignages peu convaincants : faute de preuve incontestable, les débats ont régulièrement tourné au dialogue de sourds. Affaiblie physiquement mais toujours aussi combative, la «dame de fer» ivoirienne n'a cessé de clamer son innocence. Jamais elle n'a reconnu avoir pris part à une «cellule d'éradication de la peste» mise sur pied pour «exterminer un groupe d'individus», comme le mentionnent pourtant certains documents brandis par la partie civile.
Face à un ancien milicien qui l'accuse d'avoir financé son groupuscule, elle nie en bloc. «Je n'aime pas les armes, je n'ai pas l'âme d'une guerrière», a-t-elle juré, transformant la cour d'assises en tribune politique. Lyrique, autoritaire, parfois cassante, elle n'a pas hésité à faire face au président de la cour. «Condamnez-moi mais arrêtez de me fatiguer», a-t-elle lancé, la voix tremblant de colère et de larmes, avant de refuser de se rendre aux audiences suivantes.
Un boycott décidé pour protester contre la non-comparution de certains témoins, qui a plongé pendant de longs mois le procès dans l'impasse. «Une stratégie de défense», selon les parties civiles, qui avait tout d'une «manœuvre dilatoire». Les avocats de l'ancienne première dame auraient aimé pouvoir appeler à la barre Guillaume Soro, l'ex-patron de la rébellion et actuel président de l'Assemblée nationale ivoirienne, Brédou M'bia, le directeur de la police pendant la crise post-électorale, ou encore Philippe Mangou, alors chef d'état-major de l'armée.
Mais ces témoins ont été réclamés en vain. «La justice a montré sa capacité à rendre service au pouvoir politique plutôt qu'à garantir un procès équitable», s'énerve Rodrigue Dadjé, l'avocat de l'ancienne première dame. «Comment peut-on organiser un procès d'une telle envergure alors que des acteurs clés n'ont été entendus ni pendant l'instruction ni pendant les audiences ? La justice s'est décrédibilisée», dénonce-t-il. «Pas du tout ! Ce procès n'a rien d'un échec, répond le procureur, Ali Yéo. Quitter les audiences dès qu'une décision vous est défavorable, c'est un peu léger…» Selon lui, le dossier ne sera en rien entaché par ces absences. «Certes, on n'entendra pas leur plaidoirie finale, mais les avocats de Simone Gbagbo ont largement eu le temps de s'exprimer. Les règles du droit ont été scrupuleusement respectées. Tout est réuni pour que justice soit rendue», estime-t-il.
Son extradition vers La Haye refusée
Pour l'institution judiciaire, comme pour le gouvernement ivoirien, l'enjeu était de taille. Selon de nombreux observateurs, il s'agissait notamment de mettre fin aux pressions de la Cour pénale internationale. La juridiction installée au Pays-Bas, qui poursuit en ce moment même Laurent Gbagbo pour crimes contre l'humanité, continue de réclamer sa femme. Une extradition refusée par le président, Alassane Ouattara, qui assure que la justice de son pays est «désormais opérationnelle» et rejette les accusations de «justice des vainqueurs». Alors qu'aujourd'hui seuls des partisans de son adversaire ont été jugés, il promet que tous les suspects de crimes en répondront. Même ceux de son propre camp.
Depuis sa cellule abidjanaise, Simone Gbagbo attend désormais le verdict. «Résignée, selon son avocat, elle est convaincue qu'elle sera déclarée coupable.» Déjà condamnée en 2015 à vingt ans de réclusion pour atteinte à la sûreté de l'Etat, elle risque cette fois la prison à vie.