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Libération
Reportage

Migrants : les pratiques de la police hongroise «frisent la torture»

Chiens lâchés, humiliations physiques, coups de matraque… Les brutalités contre les migrants voulant rejoindre l’Europe se seraient aggravées depuis cet hiver.
Cette photo, fournie par Médecins sans frontières, montre les blessures infligées à un migrant par la police des frontières hongroise. (Photo MSF. AFP)
publié le 31 mars 2017 à 19h56

Des douzaines de conteneurs bleus sagement alignés et équipés d'air conditionné, des douches, une infirmerie… Le tout entouré de barbelés, même sur les toits. Dans le sud de la Hongrie, les «zones de transit» de Röszke et de Tompa, des camps en plein air récemment ont été aménagés pour recevoir à partir de ce samedi les 400 demandeurs d'asile actuellement dans le pays. Pourtant, le droit international interdit d'emprisonner les demandeurs d'asile. Selon le conseiller pour la sécurité intérieure de Viktor Orbán, le Premier ministre, il s'agit de remédier aux «failles» du système d'asile européen : «Jusqu'ici, les migrants qui demandaient l'asile étaient hébergés dans des centres d'accueil, dont on peut sortir librement, explique György Bakondi à Libération. Mais certains, sans attendre que leur demande soit instruite, en profitaient pour filer vers l'Autriche, l'Allemagne et la Suède. Et maintenant, ces trois pays veulent nous les renvoyer !» Selon lui, un demandeur d'asile qui profite de la liberté qui lui est laissée pour quitter le pays abuse du droit communautaire : «Dorénavant, tous devront rester dans ces zones pour y attendre la décision de l'administration», bien que la Cour européenne des droits de l'homme se soit opposée, lundi, au transfert d'une femme enceinte et de plusieurs mineurs dans ces camps sinistres.

A 12 kilomètres de là, en Serbie, Zarar Ul-Haq, un Pakistanais de 23 ans, n'a aucune envie de demander l'asile à la Hongrie. «Si on n'est pas Syrien ou Irakien, on n'a aucune chance», lâche le jeune homme qui souhaite rejoindre son cousin et son frère en Italie. S'abritant dans une briqueterie désaffectée, à l'orée de Subotica, dernière ville serbe avant la frontière magyare, Zarar veut tenter, encore une fois, de franchir la clôture hongroise, un grillage de 4 mètres de haut couronné de barbelés, équipé de caméras thermiques et de détecteurs de mouvement. «Je suis déjà passé une douzaine de fois, toujours de nuit. Les passeurs cisaillent le grillage, raconte-t-il. Mais à chaque fois, les policiers hongrois nous attrapent. Et à chaque fois, ils nous rouent de coups et lâchent leurs chiens sur nous avant de nous repousser en Serbie.»

«Enfermés nus»

Depuis le 1er janvier, 2 770 clandestins ont été appréhendés et refoulés. Amin, compatriote de Zarar, a la main entourée d'un épais bandage. «Ils m'ont battu tellement fort sur les bras et les mains que j'ai un doigt cassé.» Ils sont une centaine de clandestins à camper dans ces bois. Ces brutalités, dénoncées dès 2016 par le Haut Commissariat des Nations unies aux réfugiés et Human Rights Watch, se seraient aggravées depuis. «J'ai vu de sales blessures : des plaies ouvertes à la tête, des bleus aux bras et aux jambes, ainsi que des hématomes causés par des coups de matraque sur le dos et sur la tête. J'ai vu aussi des morsures de chiens sur les bras, les mains et les jambes», s'alarme Lydia Gall, de HRW. Plusieurs centaines d'agressions auraient eu lieu.

En janvier et février, alors qu'il faisait - 20°C, «des hommes nus se sont vu confisquer leurs vêtements et chaussures puis on leur a versé de l'eau sur le corps avant de les forcer à marcher nus dans la neige jusqu'en Serbie», ajoute Lydia Gall, de Human Rights Watch. «Certains nous ont raconté qu'ils avaient en outre été enfermés nus dans un véhicule, avec la climatisation enclenchée à fond. Pour moi, ça frise la torture», témoigne Dan Song, fondateur de Fresh Response, une association d'aide humanitaire aux migrants échoués en Serbie. Aucune preuve, cependant, que les brutalités soient perpétrées par les forces de l'ordre magyares. Orbán a catégoriquement nié que de tels incidents aient eu lieu. Pourtant, des plaintes ont été déposées devant la justice. «Deux policiers ont déjà été condamnés à une amende pour usage excessif de la force. L'un a aspergé de spray un réfugié trop près du visage», reconnaît Bakondi, le conseiller du Premier ministre pour la sécurité intérieure. Sur les 40 plaintes déposées, la plupart ont été classées sans suite faute de preuves. Cinq enquêtes restent ouvertes.

«Inhumains»

Depuis plusieurs mois, la police croate suivrait cet exemple. «Certains nous ont raconté que leurs téléphones avaient été détruits, qu'ils avaient été roués de coups et aspergés d'eau en plein hiver. Ces traitements sont inhumains et dégradants», s'indigne Lea Horvat, coordinatrice d'Initiative Welcome. Depuis la plainte de ce collectif croate et l'alerte lancée par MSF en mars, les cas de brutalité auraient légèrement diminué. Reste que la violence semble devenir un outil prisé de contrôle des frontières.