A 47 ans, le nouveau maître de Belgrade, Aleksandar Vucic, peut savourer son triomphe. Elu président de la République dimanche 2 avril dès le premier tour avec 55,1% des voix, l’actuel Premier ministre serbe et chef de l’hégémonique Parti progressiste de Serbie (SNS) a gagné son pari. Une victoire absolue, sans appel, au terme d’une campagne qu’il aura entièrement dominée du début à la fin.
«Une campagne injuste et biaisée, lâche Tamara Skrozza, journaliste à l'hebdomadaire Vreme. Les candidats n'ont pas été représentés de manière égale dans les médias, la fonction publique a été politisée, tandis que le SNS a puisé dans les ressources de l'Etat pour assurer la promotion du candidat Vucic. Les citoyens ont eu peur d'exprimer leur opinion politique. Ceux qui ont tenté de critiquer le gouvernement et son chef ont aussitôt été pris pour cible par les médias sous son contrôle.»
Le résultat a été à la hauteur des moyens engagés. L’écart entre ses a dversaires politiques est énorme : le candidat de la société civile, l’ancien médiateur de la République Sasa Jankovic, arrive en deuxième position avec 16,27% des voix, soit presque 40 points de différence. Le candidat indépendant Ljubisa Preletacevic «Beli» est troisième (9,44%), suivi par l’ex-président de l’Assemblée générale de l’ONU, Vuk Jeremic (5,64%) et le chef de l’extrême droite nationaliste, Vojislav Seselj (4,47%).
«Pas d’instabilité»
C'est aussi la première fois depuis l'élection de 1992, et la victoire du dictateur Slobodan Milosevic avec 53% des voix, qu'un président de la République est élu au premier tour en Serbie. «J'ai obtenu plus de 12points de plus que tous les autres candidats cumulés, s'est félicité Aleksandar Vucic dimanche soir lors de sa conférence de presse. Avec un résultat pareil, il n'y a pas d'instabilité. La Serbie est forte et sera encore plus forte.»
«Cela fait maintenant 27 ans que le nouveau président élu est une figure proéminente de la scène politique serbe, poursuit Tamara Skrozza. Mais ce qu'il a réalisé jusqu'à présent n'a rien à voir avec les intérêts de la démocratie, des droits de l'homme, de la liberté d'expression ou encore de la stabilité régionale. Malheureusement, grâce à ses relations privilégiées avec le monde des médias et ses partenaires internationaux à Bruxelles et Moscou, peu de gens s'en sont rendu compte.»
Aleksandar Vucic, né en 1970 à Novi Beograd, ce quartier de grands immeubles dans la banlieue de la capitale serbe, a commencé sa carrière politique en 1993, à l'époque du siège de Sarajevo, en rejoignant les rangs du Parti radical de Serbie (SRS) dirigé par Vojislav Seselj. En 1998, au tout début de la guerre du Kosovo, il est nommé ministre de l'Information du gouvernement d'union nationale de Milosevic. C'est à cette époque qu'il fera passer l'infamante «loi sur l'information publique», visant à censurer les propos jugés contraires aux intérêts de l'Etat, et bannira de Serbie les chaînes de télévision étrangères opposées au gouvernement.
A la fois président élu, Premier ministre et chef de parti
Après la «Révolution des bulldozers» d'octobre 2000 et la chute de Milosevic, Aleksandar Vucic est évincé du pouvoir. S'ensuit une traversée du désert, où il macère dans les rangs de l'opposition parlementaire. En 2008, il claque finalement la porte du SRS et rejoint le SNS tout juste fondé par Tomislav Nikolic, l'ancien bras droit de Vojislav Seselj. Il endosse alors un costume «pro-européen» et fait amende honorable de ses «péchés de jeunesse». Il faut attendre les élections présidentielles et législatives de 2012 pour que son parti s'empare du pouvoir. Cette année-là, Tomislav Nikolic est élu président de la République, et Aleksandar Vucic devient vice-président du gouvernement et reprend les rênes du SNS qu'il transformera en véritable machine de guerre électorale.
Depuis, les scrutins s’enchaînent et se ressemblent : législatives anticipées de 2014 qui lui permettent d’être nommé au poste de Premier ministre, législatives anticipées de 2016 qui se transforment en un plébiscite ratifiant son pouvoir personnel. Belote, rebelote et dix de der : le voilà maintenant élu président, avec les applaudissements de l’Union européenne. Quant à l’opposition serbe, elle est réduite en miettes.
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Lundi matin, Aleksandar Vucic n’avait toujours pas quitté ses fonctions de Premier ministre. Il a néanmoins promis qu’un nouveau gouvernement serait formé «d’ici deux mois». La Serbie est donc désormais dirigée par un homme qui cumule les charges de président élu, de Premier ministre et de chef de parti. Jamais Milosevic n’avait rêvé d’une telle performance.