L'histoire a de quoi faire rêver les scénaristes de séries politiques à la The Good Wife. Lundi, le gouverneur républicain de l'Alabama Robert Bentley, surnommé «The Luv Guv» («le gouverneur amoureux») dans la presse nationale, a démissionné. Pendant un an, il s'est battu pour démentir les rumeurs sur la liaison qu'il aurait entretenue avec une de ses conseillères, mais les preuves sont devenues trop flagrantes. Menacé de destitution, il a baissé les bras sous la pression de son parti qui le poussait vers la sortie depuis plusieurs mois.
Le coup de grâce a été donné vendredi, quand le Comité judiciaire de la Chambre des représentants a rendu un rapport de 3 000 pages remplis de détails juteux sur les incartades amoureuses du gouverneur avec sa conseillère, toujours mariée, Rebekah Mason. L’affaire passe d’autant plus mal que l’homme politique s’est fait élire en 2010, puis réélire en 2014, en se positionnant comme l’honnête chrétien qui éradiquerait la corruption, bien ancrée dans les hautes sphères de l’Alabama.
Rencontre à l’église
Dermatologue de profession, Bentley a émergé comme un outsider dans cet Etat du sud des Etats-Unis, engoncé dans la Bible Belt (zone socio-géographique où vivent un grand nombre de protestants rigoristes) et fief des Républicains. Rebekah Mason l’a aidé dans son ascension politique fulgurante. Ancienne candidate de Miss Alabama et ex-journaliste dans une télévision locale, Mason a été la porte-parole de Bentley pendant ses deux campagnes, sa responsable de communication pour son premier mandat, puis sa conseillère politique lors de son deuxième. Elle a finalement démissionné l’an dernier.
Comble de l’affaire, les deux amants se seraient rencontrés dans une église baptiste de Tuscaloosa où le diacre Bentley donnait des cours bibliques le dimanche. Difficile de dire quand a débuté leur romance mais, en 2014, elle était déjà bien consommée. En août 2015, Diane Bentley, la femme du gouverneur, demande le divorce. Les rumeurs sur une possible liaison adultère circulaient depuis déjà plusieurs mois, mais pour la presse locale, la séparation est la preuve qu’il y a de quoi creuser.
En mars 2016, les journalistes d'une agence de l'Alabama reçoivent le gros lot quand le chef de la police de l'Etat, Spencer Collier, tout juste renvoyé par le gouverneur, leur apporte sur un plateau l'enregistrement d'un appel de Bentley à une certaine «Rebekah», en 2014. «Bébé, […] si nous faisons la même chose que nous avons fait l'autre jour, nous devrions commencer à fermer la porte, susurre le gouverneur, alors dans sa maison secondaire pendant que sa femme est allée se promener, ignorant que celle-ci a laissé son portable pour enregistrer la conversation. Quand je me mets derrière toi, que je t'entoure de mes bras, que je mets mes mains sur tes seins, et que je te tire contre moi, j'adore ça aussi.»
«Rebekah phones» et sextos
La publication de l’enregistrement fait de cette affaire locale un scandale national. Malgré cela, Bentley se tient à sa version initiale et nie avoir eu une liaison adultère avec sa conseillère.
Le gouverneur n'a pas lésiné sur les moyens pour cacher son aventure. Selon le rapport du Comité judiciaire, les amants possédaient, à partir de 2015, des téléphones jetables. Des «Rebekah phones», tels que les appelait Bentley. Cette précaution faisait suite à de multiples maladresses de l'homme politique. A plusieurs reprises, il s'est trompé de destinataire en échangeant des tendresses avec son amante. Sa femme a ainsi reçu, un jour, un «Je t'aime Rebekah», ponctué d'un emoji rose rouge. Ou encore un remarquable «Bénis soient nos cœurs. Et autres parties.»
La malheureuse Diane Bentley recevait aussi tous les messages que les amants s’envoyaient sur le téléphone professionnel du gouverneur. La tablette offerte par son mari, avec l’argent de l’Etat, synchronisait tous ces échanges à domicile. La quinquagénaire a commencé à avoir des soupçons quand Rebekah Mason s’est mise à séjourner de plus en plus souvent dans l’aile réservée aux invités de la résidence officielle du gouverneur.
Les cheveux ébouriffés
Les indiscrétions du couple ne se limitent à cela. Plusieurs employés du gouverneur ont vu Rebekah Mason sortir du bureau du gouverneur, remettant ses habits en place, les cheveux ébouriffés. Lors d’un voyage professionnel à Washington, Bentley aurait ouvert la porte de sa chambre d’hôtel en caleçon, croyant recevoir son amante.
Sentant les mailles du filet se refermer sur lui, Robert Bentley s'est mis à harceler ses équipes et à les menacer s'ils communiquaient quoi que ce soit à la presse. Il est allé jusqu'à leur demander de «s'incliner devant son trône», selon Politico. En mai 2014, il envoie son chef de la sécurité, Ray Lewis, pour rompre avec son amante. Avant de renoncer à se séparer d'elle. Il charge aussi Lewis de retrouver l'enregistrement qu'a fait sa femme. Sans succès. Rongé par sa paranoïa, le gouverneur finira par renvoyer son chef de la sécurité, début 2016.
C'est à la même époque que le scandale commence à faire des remous au sein du Parti républicain. En avril 2016, la Chambre des représentants lance une procédure de destitution. Un an après, elle est sur le point d'aboutir. Vendredi, le gouverneur proclamait, bravache, «ne pas prévoir de démissionner» et n'avoir «rien fait d'illégal». Sous la pression d'une possible mise en accusation avancée ce week-end, Robert Bentley s'est rendu aux autorités de Montgomery, lundi après-midi. Le gouverneur s'est retrouvé, peu de temps, derrière les barreaux. Pour ne pas y retourner, il a accepté de plaider coupable de deux chefs d'accusation : il a reconnu avoir fait un prêt pour sa campagne en dehors du calendrier autorisé et payé une facture de sa maîtresse avec l'argent de cette même campagne. Il risque maintenant un an de liberté conditionnelle et doit rendre 37 000 dollars (soit 34 800 euros) de fonds de campagne, utilisés à des fins personnelles.
Les républicains ont vite tourné la page. Le soir même, Kay Ivey était investie deuxième femme gouverneure de l’histoire de l’Alabama. Robert Bentley a marqué aussi l’histoire de l’Etat mais dans une autre catégorie. A 74 ans, il devient le quatrième gouverneur à démissionner après un scandale.