Est-ce un tournant dans Lava Jato («lavage express»), la tentaculaire enquête contre la corruption au Brésil, qui a mis à nu les liaisons dangereuses entre décideurs politiques et patrons du BTP ? Les aveux du leader du bâtiment Odebrecht mouillent la République. Mardi, la Cour suprême, compétente pour juger les autorités en exercice, a confirmé que le gratin politique du pays est impliqué. Décryptage.
Qu’a décidé le juge rapporteur de Lava Jato à la Cour suprême, Edson Fachin ?
Il a autorisé l’ouverture d’une enquête pour corruption et blanchiment d’argent contre 98 personnes, en réponse à une demande du procureur général, le 14 mars. Parmi elles, huit ministres, 24 sénateurs et 39 députés, dont les présidents des deux chambres. Odebrecht aurait financé leurs campagnes ou les aurait soudoyés en échange de marchés publics ou de décisions sur mesure pour favoriser ses intérêts.
Douze gouverneurs sont également cités, ainsi que les trois anciens présidents de la République (les instances inférieures décideront ou non de leur mise en examen) : Fernando Henrique Cardoso (Parti de la social-démocratie brésilienne, PSDB), Luiz Inácio Lula da Silva et Dilma Rousseff, tous deux du Parti des travailleurs (PT), au pouvoir ces treize dernières années. Pas d'enquête en revanche contre l'actuel président Michel Temer (Parti du mouvement démocratique brésilien, PMDB) - pourtant cité lui aussi - en raison de l'immunité dont il jouit de par sa fonction.
Quelles sont les conséquences pour Lula ?
L'ancien président (2003-2010) est déjà inculpé dans Lava Jato. Fachin a relevé six autres accusations. A 70 ans, le héros des classes populaires est en tête des sondages pour la présidentielle 2018. Mais une éventuelle condamnation en appel le contraindrait, légalement, à renoncer à se porter candidat.
Un risque tangible. N'étant plus au pouvoir, Lula n'est pas soumis à la juridiction d'une Cour suprême lente et surchargée, mais à la célère justice de première instance. Plus précisément à l'implacable juge Sergio Moro, en charge de Lava Jato, qu'il accuse de s'acharner contre lui pour l'empêcher de se porter candidat.
Quelles sont les perspectives pour l’establishment politique ?
La «liste Fachin» achève de le discréditer. Seize partis, dont les trois principaux, sont en cause : le PT de Lula, mais aussi son grand rival, le PSDB, dont trois présidentiables sont mouillés. Sans oublier le PMDB de Michel Temer. Preuve que la corruption est systémique et non pas le fait du seul PT, comme le disait la droite, qui a destitué Dilma Rousseff en 2016.
«C'est une marque du modus operandi du système politique et de son modèle de financement», écrit Claudio Couto, politologue. Pour son confrère Fábio Wanderley Reis, Lava Jato instaure un climat de rejet du politique propice à l'apparition d'un «sauveur». Tel le député d'extrême droite Jair Bolsonaro, apparu dans un récent sondage en troisième place derrière Lula et l'écologiste Marina Silva (une des rares figures politiques à tirer son épingle du jeu). Ou encore, le très populaire et populiste maire de São Paulo, João Doria, un millionnaire qui se veut «antisystème».