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Libération
Récit

Panama Papers : le Premier ministre pakistanais gagne un sursis

La Cour suprême a demandé un complément d'enquête dans les soupçons de corruption qui pèsent sur la famille de Nawaz Sharif. Un répit de quelques semaines avant une possible destitution.
Le Premier ministre pakistanais, Nawaz Sharif (à droite), et son frère, Shahbaz Sharif, gouverneur du Pendjab, après l'énoncé du verdict de la Cour suprême, le 20 avril à Islamabad (photo publiée sur le compte Twitter de Maryam Sharif). (Photo DR)
publié le 20 avril 2017 à 17h57

Les deux frères s’embrassent, sourire jusqu’aux oreilles, enlacent leur fille et nièce et posent pour une série de photos. Ce jeudi matin, le soulagement de Nawaz Sharif (figure phare de la politique pakistanaise et Premier ministre pour la troisième fois depuis 2013), de son frère Shahbaz (gouverneur de la puissante province du Pendjab) et de sa fille et héritière politique, Maryam, était flagrant. La Cour suprême venait de juger que Nawaz Sharif pouvait rester à son poste le temps qu’un complément d’enquête soit mené sur les soupçons de corruption qui éclaboussent la famille. Malgré ses déclarations victorieuses, le clan n’a jamais gagné qu’un répit de neuf semaines et demie.

Luxueux appartements londoniens

Le scandale a éclaté il y a un an tout juste, quand le Consortium des journalistes d’investigation a publié les «Panama Papers», des liasses de documents secrets provenant d’un cabinet panaméen. Les 200 millions de Pakistanais découvraient alors que trois des enfants de Nawaz Sharif, 67 ans, étaient propriétaires depuis les années 70 d’au moins quatre luxueux appartements à Park Lane, à Londres, via des holdings basées dans le paradis fiscal panaméen. Jusque-là, la famille Sharif n’a pas réussi à prouver comment elle a pu amasser un tel patrimoine immobilier en toute légalité.

Depuis, les journaux télévisés pakistanais ouvrent sans relâche sur cette affaire et ses multiples rebondissements. L’opposition, et surtout le patron du PTI (Mouvement du Pakistan pour la justice), l’ancien joueur de cricket Imran Khan, à l’origine des poursuites, n’a pas ménagé ses coups. Et depuis deux mois, le pays retenait son souffle en attendant le verdict de la Cour suprême. Une destitution du Premier ministre un an avant les élections générales de 2018 serait un coup de tonnerre alors que le parti au pouvoir, la Ligue musulmane et Maryam Safdar Sharif, partaient jusque-là plutôt favoris.

Balzac dans le texte

Interrogé en janvier sur les conséquences d'une éventuelle destitution de Nawaz Sharif, l'essayiste Pervez Hoodbhoy faisait part à Libération de ses craintes : «Je ne suis pas un supporteur de Nawaz Sharif. Mais j'espère tout de même que la Cour suprême ne prononcera pas son inéligibilité, car alors le risque serait fort qu'Imran Khan, qui est clairement un partisan des talibans, arrive au pouvoir. Or ni lui ni son parti ne sont fiables. Le pays souffrirait.»

Les commentateurs pakistanais semblaient considérer majoritairement ce matin la décision de la Cour suprême comme une défaite pour le clan Sharif : deux des cinq juges se sont prononcés pour sa destitution, et les trois autres ne l'ont pas innocenté. Les 549 pages du jugement (accessibles en ligne, en anglais) s'ouvrent d'ailleurs par cette citation de Balzac, en français dans le texte : «Le secret des grandes fortunes sans cause apparente est un crime oublié, parce qu'il a été proprement fait.»

La mise sur pied, dans les sept jours, d’une commission spéciale d’enquête, une procédure réservée en général aux grosses affaires criminelles et au terrorisme, est également un très mauvais signal. Composée, entre autres, de représentants du bureau anticorruption et des services secrets militaires, elle aura soixante jours pour rendre son rapport à la Cour suprême.

Après l'annonce du verdict, le parti d'opposition de centre gauche, le PPP, a, à la suite du PTI, réclamé la démission de Sharif. Pour l'éditorialiste Hassan Nisar, «politiquement, le Premier ministre est déjà condamné».