Dans son bureau du ministère de la Santé, à Colombo, le docteur Hemantha Herath reçoit avec humilité les compliments admiratifs de ses visiteurs : «Si nous avons réussi à éradiquer le paludisme, c'est grâce à un effort continu pendant plus d'un demi-siècle.» Sa mission aujourd'hui: que le parasite ne revienne pas.
En 2009, le Sri Lanka avait réalisé un tournant historique. L'armée mettait fin à vingt-six ans de guerre en battant la rébellion des Tigres de libération de l'Eelam tamoul (ou LTTE). Et trois ans après, le pays connaissait son dernier cas de paludisme endémique. Les deux événements sont liés, car les combats ont empêché les autorités sanitaires d'éliminer les moustiques porteurs dans certaines régions conflictuelles et fortement contaminées. Finalement, l'Organisation mondiale de la santé (OMS) a déclaré, le 5 septembre 2016, ce pays de l'océan Indien comme «libéré du paludisme». Le Sri Lanka est devenu ainsi la deuxième nation d'Asie tropicale – après le petit Etat des Maldives – à se débarrasser de la parasitose le plus meurtrière au monde.
Ce 25 avril, journée mondiale contre le paludisme, vient rappeler que cette pandémie reste encore la plus meurtrière au monde. Transmise par la femelle du moustique nocturne et rural de genre anophèle, elle a frappé 212 millions de personnes et tué 480 000 d’entre eux en 2015, principalement en Afrique, rappelle l’Organisation mondiale de la santé. Mais la mobilisation commence à payer. Les nouveaux cas de paludisme ont chuté de 21 % entre 2010 et 2015 dans le monde. Les taux de mortalité par paludisme ont, eux, reculé de 31 % au cours de la même période de cinq ans. Et l’OMS prévoit le lancement, en 2018, d’une campagne d’expérimentation du vaccin Mosquirix en Afrique. Un espoir de plus, même si la route est encore longue.
DDT, l’arme presque fatale
Le Sri Lanka, lui, revient de loin. En 1946, ce pays était l’un des plus affectés de la planète : 2,8 millions de personnes ont alors été contaminées, soit environ un habitant sur trois de l’époque. A partir des années 60, Colombo entame une guerre contre les moustiques, en aspergeant d’énormes quantités d’insecticide DDT dans les maisons. En 1963, la partie semble gagnée : l’île ne compte que 17 cas endémiques. Mais l’effort n’est pas maintenu, les fonds manquent et surtout l’anophèle résiste davantage au DDT. L’épidémie repart en flèche.
De nouveaux insecticides sont introduits, le malathion puis, en 1994, le lambda-cyhalothrine, de la gamme des pyréthrinoïdes, qui a l'avantage de ne pas laisser d'odeur ni de marque sur les murs des maisons aspergées. Ce produit tue, en plus, les cafards et autres insectes domestiques, ce qui contribue à son succès. «Avant, les habitants fermaient leur maison et fuyaient à l'arrivée des équipes d'aspersion, relate le docteur Hemantha Herath, directeur de la Campagne contre le paludisme au ministère de la Santé. Avec ce nouvel insecticide, les personnes couraient après les équipes pour en bénéficier.» Les services sanitaires drainent les rivières pour chasser les moustiques, introduisent des poissons mangeurs de larves dans leurs eaux de reproduction, puis distribuent des moustiquaires imprégnées d'insecticide dans les campagnes touchées. Ils visent d'abord les districts les moins contaminés, pour s'assurer que leur stratégie fonctionne, avant de s'attaquer aux plus affectées.
Les moustiquaires au côté des chars
A la fin des années 90, une grande partie du sud du pays est nettoyée. Mais le plus dur reste à faire : répliquer ce succès dans le Nord et l'Est alors sous contrôle de la rébellion des Tigres tamouls. Par chance, le G8 lance en 2002 le Fonds mondial contre le paludisme, la tuberculose et le sida, et qui permet au Sri Lanka, l'un des premiers bénéficiaires, de décupler ses moyens d'actions. L'association Sarvodaya est engagée pour cette mission délicate. «Le LTTE avait créé un gouvernement parallèle dans la région qu'il contrôlait et taxait tous les biens qui entraient, explique Vinya Ariyaratne, directeur de Sarvodaya. Il voulait également taxer les moustiquaires, ce que nous avons refusé, car nous ne reconnaissions pas ce système fiscal parallèle et que, surtout, nous faisions cela pour leur peuple. Nous devions donc négocier avec des responsables de haut niveau et les moustiquaires passaient en fin de journée.»
Le ministère de la Santé reconnaît que la rébellion a été exceptionnellement coopérative dans cette lutte contre le paludisme. Les Tigres tamouls se battaient contre l'armée nationale mais acceptaient la présence sur leur territoire de médecins et de professeurs payés par Colombo. Dans d'autres pays, il faut négocier un cessez-le-feu pour arriver à mener des campagnes de vaccination. Au Sri Lanka, les moustiquaires passaient au côté des chars. «Le seul problème est que l'on ne pouvait pas vérifier le travail de nos agents sur place, tempère le docteur Herath. Nous aurions pu éradiquer le paludisme dix ans plus tôt sans ce conflit.»
Touristes et pierres précieuses
La disparition de la contamination endémique n'a pas mis fin à la lutte contre le parasite. Car depuis 2012, une quarantaine de cas sont «importés» chaque année, par des entrepreneurs du secteur des pierres précieuses qui se rendent en Afrique, des réfugiés tamouls rapatriés d'Inde ou de simples touristes – à chaque fois, le patient doit être isolé et soigné pour éviter de nouvelles contagions. L'insularité du Sri Lanka a certes facilité le contrôle sanitaire, mais avec le retour de la paix, le lancement de grands travaux et la croissance du tourisme, le nombre de visiteurs va augmenter, ce qui demandera aux autorités de renforcer la vigilance. «Tant que le reste du monde n'a pas éliminé le paludisme, nous devrons continuer ce combat, explique le docteur Herath.
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