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Libération
Reportage

Législatives en Algérie  : «Le mécontentement est social plus que politique»

Dans les bureaux de vote d’Alger, peu d’électeurs ont fait le déplacement jeudi. Face au manque d’alternance, ils étaient nombreux à ne pas se sentir concernés.
Un électeur émarge à Alger, jeudi. (Photo Sidali Djarboub. AP)
publié le 4 mai 2017 à 21h01

Les cinq tables collées les unes aux autres sur lesquelles s'alignent les dix-sept listes des partis politiques algériens remplissent toute la longueur de la salle de classe, plongée dans la pénombre. Il est 11 heures du matin ce jeudi, 25 personnes ont voté, sur les 290 inscrits de ce bureau de vote de la lointaine banlieue d'Alger. «Il y a encore moins de monde que d'habitude», avoue le responsable, qui reçoit dans son petit bureau, coincé entre un vieux poêle et des fleurs rouges en plastique. La Glacière est un quartier populaire, «dans lequel je ne vous aurais jamais emmené il y a vingt ans», s'amuse le chauffeur de taxi, qui, lui, ne vote pas. C'est le cas de la majorité des ­Algériens pour les élections législatives, dont les résultats sont attendus ce vendredi.

«C’est le loto»

A Bourouba, dans la commune voisine, le collège Boumezar n'est pas beaucoup plus animé. A 11 h 30, dans le bureau numéro 27, seuls 9 électeurs sur 420 s'étaient déplacés. «C'est parce que c'est un centre de vote pour les femmes. Elles ont du travail le matin, elles ne sortent que l'après-midi, surtout dans un quartier comme celui-là», précise la directrice. Avant de s'empresser d'ajouter : «La séparation des listes hommes et femmes n'a rien de religieux. C'est ­purement administratif. D'ailleurs, le personnel des bureaux de vote est mixte.»

Dans chaque salle de classe, des contrôleurs, mandatés par les partis politiques, comptabilisent le nombre de votants. Entre un et quatre par bureau, ils resteront pour le dépouillement et se verront remettre un procès-verbal par les assesseurs. Reconnaissables à leur badge vert, ce sont pour la plupart des jeunes, étudiants ou professeurs. Rares sont les militants, cependant. «On touche 4 000 dinars», explique un contrôleur du parti islamiste TAJ, proche du pouvoir. Soit 33,50 euros. «Il n'y a rien d'autre à faire», lâche une collègue, qui a oublié pour quelle formation elle travaille.

A quelques rues du collège, l'école Bachir el-Ibrahimi est un centre de vote 100 % masculin. Dans l'un des bureaux du premier étage, à 13 heures, 43 personnes sur 410 ont voté. «Il y a toujours beaucoup de participation ici, car c'est un quartier de vieux, assure un homme de 64 ans, moustache blanche et casquette en cuir. J'espère que le vote va apporter le changement. Notre vie est insupportable.» Il s'éloigne de trois grands pas. «Vous voyez cette distance  ? Je vis là-dedans avec ma femme et mes trois enfants, dans un bidonville, avec 18 000 dinars [150 euros] par mois. On ne peut même pas inviter quelqu'un chez nous.» Quel parti pourrait le tirer de là  ? «Bof, le vote, c'est le loto. Moi, j'ai voté FLN.» L'ex-parti unique, au pouvoir depuis l'indépendance de l'Algérie…

A l'autre bout d'Alger, dans les hauteurs du très chic quartier de Hydra, la participation est un peu plus élevée en début d'après-midi. Bureau 6, un autre retraité sort de l'isoloir  : il est le 73votant (sur 398). «Il faut faire la différence entre l'acte citoyen et l'acte politique, théorise-t-il. Le vote comme acte citoyen est nécessaire. Quant à l'acte politique, je ne sais pas si l'Algérie en est à ce stade. D'où l'absence d'alternance. Le mécontentement ici est social plus que politique. Mais nous sommes un pays si jeune : nous ne pouvons pas déjà stagner !»

«Après la sieste»

L'école primaire toute blanche d'El-Biar, en face de l'ambassade des Etats-Unis, est l'une des plus connues d'Algérie. C'est ici que vote Abdelaziz Bouteflika depuis des années. Il s'est une nouvelle fois déplacé, jeudi matin. «Il y avait au moins 50 caméras», clame le chef du centre. La dernière apparition publique du chef de l'Etat, à la tête du pays ­depuis 1999, remontait au 20 mars. C'est son neveu qui a dû glisser le bulletin dans l'urne. A 15 heures, même dans le bureau le plus scruté d'Algérie – les médias algériens ont diffusé en boucle les images du vieil homme en fauteuil  –, seules 38 personnes sur 259 avaient voté.

«Les gens viennent après la sieste, jure le représentant de la Haute Instance indépendante de surveillance des élections, créée l'an dernier. Il y aura un flux énorme vers 19 heures.» Il dit contrôler les élections depuis «des décennies». La Haute Instance garantira-t-elle des résultats fiables  ? «Oui, car cette fois, elle a des compétences étendues et n'a aucun lien avec l'exécutif», assure-t-il. Son président n'est-il pas nommé par Bouteflika  ? «Si, mais il faut bien que quelqu'un nomme. Le Président est ce qu'il y a de plus impartial.»