Le nouveau visage du Hamas est désormais celui d’Ismaïl Haniyeh, un quinquagénaire joufflu et gaillard, impliqué dans le mouvement depuis sa création, en 1987. Il incarne le lien entre traditions conservatrices du Hamas et pragmatisme politique face au conflit avec Israël. Le conseil de la Shoura, un ensemble opaque d’une soixantaine de dirigeants du mouvement pour la plupart nommés et représentants des militants de Cisjordanie, de Gaza, des camps de réfugiés en Jordanie, au Liban ou en Syrie, l’a élu chef du bureau politique. Cette victoire n’est pas une surprise puisque Ismaël Haniyeh était pressenti depuis l’an dernier.
Proche du cheikh Ahmed Yassine, le chef spirituel du mouvement islamiste assassiné par Israël en 2004, Haniyeh a donc un lien très fort avec le mouvement, qu’il a même dirigé à Gaza ces dernières années. Enfin, il est aussi perçu comme l’héritier logique de son prédécesseur, Khaled Mechaal – partisan d’une approche réaliste du conflit avec le voisin israélien, qui occupait ce poste depuis 1996 et vivait en exil à Doha, au Qatar. Les renseignements israéliens estiment d’ailleurs qu’il continuera fidèlement le travail de Meshaal: maintenir les échanges avec les grands pays sunnites et s’éloigner de l’Iran et de la Syrie. La classe politique israélienne, elle, semble attendre de savoir d’où Haniyeh travaillera avant de réagir.
«Signe d’ouverture»
On peut néanmoins imaginer le mécontentement de la part de certains membres du gouvernement, comme le ministre de la Défense Avigdor Lieberman. En décembre 2015, il avait proposé d'assassiner Haniyeh dans les 48 heures pour faire rendre les corps de deux soldats de Tsahal détenus par le Hamas depuis la guerre de 2014. «Elire Ismaïl Haniyeh est, à tous niveaux, un signe d'ouverture de la part du Hamas», analyse Mkhaimar Abusada, politologue palestinien. Et de rappeler qu'Haniyeh est un partisan du dialogue : en 2006, il avait même écrit au président George W. Bush pour tenter de rétablir le dialogue entre son mouvement et les Américains.
«Le Hamas espère mettre tous les signaux au vert pour se rapprocher de partenaires régionaux potentiels et se faire accepter par des pays occidentaux», dit aussi Abusada, résident de Gaza, où il enseigne les sciences politiques à l'université Al-Azhar. Selon lui, l'élection d'Haniyeh procède de la même dynamique que la parution, le 2 mai, du nouveau manifeste politique du Hamas. Les amendements de ce nouveau document s'ajoutent à la charte historique de 1988, et tendent à nuancer les positions du mouvement toujours considéré terroriste par les Etats-Unis et l'Union européenne. Le Hamas a, par exemple, décidé d'abandonner les références aux Frères musulmans, dont il est issu; et d'affirmer pouvoir soutenir un Etat palestinien dans les frontières de 1967 – une position qui n'avait jamais été officialisée auparavant.
«Du bluff»
De nombreux analystes y voient un nouveau manifeste de référence appelé à faire oublier le texte historique belliqueux niant l'existence d'Israël. «Du bluff», avait assuré le Premier ministre de l'Etat hébreu, Benyamin Nétanyahou. Un bluff résumé ainsi par son porte-parole : «Le Hamas tente de tromper le monde, mais il n'y parviendra pas», jugeant que le «véritable Hamas» était celui qui tire «des milliers de missiles contre des civils israéliens». «Le Hamas montre une volonté au compromis et se présente comme ouvert au dialogue. Il veut donner des gages de bonne volonté et s'imposer comme un interlocuteur raisonnable», assure de son côté Mkhaimar Abusada.
A Gaza, le prêche prononcé par Ismaïl Haniyeh juste après l'annonce de son élection a été très suivi et a rassemblé une foule importante, flattée par une élection jugée historique : il est le premier Gazaoui élu à cette position politique prestigieuse. Pour l'éditorialiste Ibrahim Madhoun, proche du Hamas, c'est bien la confirmation d'une «aile modérée» présente à Gaza. Sur place, il est perçu comme un «enfant du pays» puisqu'il est né dans le camp d'al-Shati, un des principaux camps de réfugiés de la ville de Gaza, le centre névralgique de cette bande de terre de 365 km2.
Manifestations quotidiennes
Comme les deux tiers des Gazaouis, il a grandi dans le récit de l’exil des réfugiés palestiniens, chassés par la création de l’Etat hébreu, et espérant toujours retrouver un jour leurs terres. Sa famille est originaire d’Ashkelon, ville voisine de Gaza aujourd’hui en Israël. Deux de ses sœurs ont d’ailleurs épousé des Palestiniens restés sur leurs terres lors de la création de l’Etat hébreu, le 14 mai 1948, et ont obtenu la nationalité israélienne.
Malgré ce fort enracinement, Ismaïl Haniyeh pourrait rencontrer des difficultés dans ses rapports avec les cadres du Hamas à l’échelle locale. Il devra notamment composer avec son exact opposé, Yehieh Sanwar. En février, il était élu chef du Hamas à Gaza, précisément pour remplacer Haniyeh. Sanwar n’a pas du tout le même héritage politique. Il est, lui, l’un des fondateurs de la branche armée du Hamas et a passé vingt-trois ans dans les prisons israéliennes. Partisan d’une ligne dure, il est connu pour avoir commandité l’exécution de plusieurs Palestiniens soupçonnés de collaboration avec l’ennemi, ou trop critiques du mouvement.
Enfin, sur la scène nationale, Haniyeh est connu comme furtif Premier ministre de 2006 à 2007 avant le schisme historique entre son parti et le Fatah. Ses liens avec la scène politique de Ramallah pourraient l’aider à trouver un terrain d’entente et enfin signer une réconciliation qui patine depuis dix ans. Selon un récent sondage d’opinion, 20% des Palestiniens, sur la totalité des territoires, voteraient pour lui si une élection présidentielle avait lieu aujourd’hui, ce qui le placerait juste derrière le haut cadre du Fatah Marwan Barghouti, détenu dans les prisons israéliennes, qui réunirait 33% des votes.
Au moment où le Hamas sort sa charte, en signe de modération, des manifestations quotidiennes à Gaza dénoncent les difficultés du quotidien, mais aussi le discours jugé timoré de l’Autorité palestinienne à Ramallah. Lors de l’une d’elles, le portrait du président Mahmoud Abbas a même été collé au dos d’un âne. Alors que la rue réclame des réponses radicales, la modération d’Haniyeh arrive peut-être déjà trop tard.