C'est un coup de poignard dans le rêve d'une Indonésie tolérante et multiconfessionnelle. Ahok, gouverneur de Jakarta, a été condamné mardi à deux ans de prison pour «blasphème contre l'islam» et emprisonné. Un verdict d'une sévérité inouïe, alors que les procureurs ne réclamaient qu'une mise à l'épreuve. Massés devant le tribunal, les partisans d'Ahok sont restés silencieux, pendant que les musulmans conservateurs criaient «Dieu est grand».
La sentence est un mauvais signal pour les minorités religieuses et ethniques de ce pays peuplé à 80 % de musulmans. Car Ahok a la particularité d'appartenir à deux minorités : les Indonésiens d'origine chinoise et les chrétiens. Son premier mandat avait été un élément de stabilité pour le pays. Ultrafavori à sa réélection, il avait, au début de sa campagne, accusé ses adversaires d'instrumentaliser le verset du Coran qui suggère que les musulmans n'ont pas le droit de choisir des non-musulmans comme chefs, en lançant : «Ne vous sentez pas mal à l'aise à l'idée de ne pas pouvoir voter pour moi de crainte d'aller en enfer, parce qu'on vous ment.»
Malgré ses excuses, de petites organisations radicales avaient obtenu le lancement d'une procédure judiciaire. En novembre, elles faisaient descendre dans la rue des centaines de milliers de personnes contre le «kaffir», «l'infidèle», bien que les grandes organisations musulmanes se soient désolidarisées. Rémy Madinier, auteur de l'Indonésie entre démocratie musulmane et islam intégral, analysait alors la situation : «Ces petites organisations ont trouvé une occasion formidable avec cette histoire de blasphème, qui exploite le vieux fond antichinois d'une partie de l'islam indonésien.»
Battu le 19 avril, après une campagne polluée par les tensions religieuses, Ahok devait rester gouverneur jusqu’en octobre, un tremplin pour la présidentielle de 2019.