Mardi, avec l’espoir d’ouvrir une nouvelle ère, des millions de Sud-Coréens ont accordé leur suffrage à Moon Jae-in, avocat réservé et militant des droits de l’homme de 64 ans. Ce dernier a été largement élu président avec 41 % des voix (selon les sondages à la sortie des urnes) dans ce scrutin à un tour où s’affrontaient une quinzaine de candidats.
Corruption. Son élection plébiscite à la Maison Bleue (l'Elysée sud-coréen) marque un tournant dans l'histoire de cette jeune démocratie. Certes, elle consacre une nouvelle alternance après dix ans de pouvoir des conservateurs. Surtout, ce scrutin intervient après la destitution historique, en mars, de la présidente Park Geun-hye. Elue en 2012, la fille de l'ancien dictateur Park Chung-hee a été arrêtée et sera bientôt jugée pour corruption et abus de pouvoir dans une affaire qui a ébranlé les fondements de l'Etat. Et jeté dans la rue des millions de Sud-Coréens qui «se sont sentis humiliés, impuissants, insultés par le mépris de Park», comme l'expliquait un étudiant fin avril à Séoul.
Moon Jae-in a été l'un des grands artisans de cet automne sud-coréen aux airs de printemps citoyen. Avec son Parti démocrate, il a ainsi accompagné la volonté de changement de la bouillonnante société civile qui exigeait la démission d'une «présidente et de son entourage tellement sûrs et confiants dans leur pouvoir», rappelle Yoo Jung-hwan, politologue à l'université de Cheongju.
Cette consécration a un parfum de revanche pour Moon. En 2012, il avait perdu de peu face à la «princesse» Park Geun-hye. Et cette année, la droite a bien tenté de lui savonner la planche en le campant en socialiste trop complaisant et laxiste avec la Corée du Nord.
Moon Jae-in n’a pourtant rien d’un dangereux gauchiste. Le nouveau président sud-coréen, né en janvier 1953 sur l’île de Geoje (Sud), est le fils de réfugiés du Nord qui fuyaient le stalinisme. Il est issu d’une famille très modeste. Son père était un simple ouvrier dans un camp de prisonniers de guerre.
Catholique et traditionaliste, marié et père de deux enfants, Moon a été l'un des pères du mouvement démocratique des années 70-80, quand la société civile payait le prix fort face aux dictateurs. Il a fait de la prison après une manifestation contre Park Chung-hee, le père de la présidente destituée. Son militantisme l'a empêché de devenir magistrat. Il s'est rabattu sur le métier d'avocat après une nouvelle période d'incarcération en 1980. «Dans ces années tumultueuses de lutte et de répression, il fait la rencontre de Roh Moo-hyun, qui deviendra président. Ils vont alors devenir associés, amis très proches, jusqu'au suicide de ce dernier, raconte le politologue Yoo Jung-hwan. Aujourd'hui, Moon se réclame, non sans raison, comme son successeur. Malgré la haine d'une partie de la droite, Roh Moo-hyun est resté très populaire en Corée.»
Apaisement. Les deux amis fondent un cabinet d'avocats à Busan pour défendre des militants des droits de l'homme, des ouvriers et des syndicalistes harcelés par le clan des généraux. Quand Roh Moo-hyun accède à la présidence en 2003, Moon Jae-in intègre le cabinet présidentiel avant d'en prendre la direction en 2007. Au nom de la «politique du rayon de soleil», il devient l'une des chevilles ouvrières du deuxième et historique sommet intercoréen de 2007, quand le Sud et le Nord se serrent la main. Dix ans plus tard, constatant que la politique de «patience stratégique» de Barack Obama «a échoué», Moon veut entreprendre une politique d'apaisement et d'engagement avec le Nord. Il se dit «prêt à aller à Pyongyang» et «à s'asseoir avec Kim Jong-un pour discuter du programme nucléaire», comme il l'a indiqué au Washington Post. Le Nord l'entendra-t-il et Trump voudra-t-il coopérer ?
Après un vide du pouvoir dû aux ratés et aux scandales de la présidence Park, Moon souhaite que la Corée du Sud reprenne la main sur sa destinée. Notamment sur le bouclier antimissile américain Thaad, dont le déploiement hâtif avant la présidentielle a «manqué de procédure démocratique», jugeait-il il y a quelques jours. Moon devra aussi apaiser une société traversée de fractures et en quête de changements, notamment pour remettre au pas les «chaebols», les puissants conglomérats du pays. Ce serait l’occasion de montrer que la Corée du Sud a tourné la page des années Park et enseveli la nostalgie mortifère de la dictature.