Réagissant à l'attentat de Manchester, Emmanuel Macron a affirmé mardi après-midi sa «volonté de renforcer la coopération européenne» antiterroriste. Pour Pierre Berthelet, chercheur en sécurité européenne à l'université Laval de Québec, la collaboration s'est déjà améliorée, même si les modalités précises du Brexit et ses conséquences restent une inconnue de taille.
La coordination de la lutte antiterroriste en Europe fonctionne-t-elle mieux qu’avant?
La coopération opérationnelle consiste à s'échanger des noms de suspects ou d'auteurs d'attentat, des modes opératoires, etc. Europol en est la pointe émergée. Une très grande partie de la collaboration antiterroriste, par exemple entre les DGSI et le MI5 ou le MI6 (respectivement les services de renseignement intérieur et extérieur britanniques), se fait dans des enceintes inconnues du public, voire en bilatéral. Ces sujets très sensibles nécessitent une grande confiance entre partenaires. Les informations données à un Etat ne le sont que parce que l'émetteur a l'assurance qu'elles ne seront pas transmises à un tiers, notamment pour ne pas mettre en danger les sources. La gaffe de Trump avec les Russes est un exemple parfait de violation de cette règle cardinale dans le renseignement [le président américain a transmis au ministre des Affaires étrangères russe des renseignements sur l'Etat islamique fournis par les services israéliens à Washington, ndlr]. On est donc encore très loin d'une agence européenne du renseignement. Le renseignement peine à s'opérer dans une structure intégrée, malgré les progrès.
Le coordinateur pour la lutte antiterroriste donne quant à lui une impulsion. L'actuel titulaire, Gilles de Kerchove, connaît très bien ses interlocuteurs, ce qui lui permet de fluidifier les relations entre les Etats. Quand la France a fait des propositions, après 2015, pour renforcer la sécurité des frontières extérieures contre l'infiltration des combattants étrangers, Kerchove a pu aider à convaincre des partenaires. C'est une courroie de transmission. La coordination passe enfin par le Groupe antiterroriste (GAT), qui concerne plutôt les services de renseignement, et qui est une émanation du Club de Berne [qui associe les 28 pays de l'UE ainsi que la Norvège et la Suisse].
Pourquoi un tel empilement de structures ?
Les effets de rivalité très forts entre les services, en France comme ailleurs, rejaillissent à l’international. D’où la multiplication des structures, chaque service privilégiant tel ou tel canal. A côté du GAT existe une nébuleuse de groupes inconnus du public, parfois créés de façon temporaire pour traiter d’une affaire. Ces structures de renseignement opérationnel sont extrêmement difficiles à cartographier. Plus qu’un réseau, c’est donc une nébuleuse du renseignement qui existe en Europe.
Theresa May avait menacé qu’en cas de mauvais accord sur le Brexit, la coopération antiterroriste serait affaiblie. Le Royaume-Uni peut-il se passer de l’UE ?
Avant des négociations, chaque partie montre ses muscles, c'est assez classique. En matière de sécurité, le Brexit est un réel problème. Si l'on en croit un expert britannique, le Pr Peers, le Brexit devrait entraîner une réduction significative de la coopération sécuritaire entre l'Union et le Royaume-uni. Londres va totalement sortir de l'Europe de la sécurité, sans qu'on en connaisse exactement l'issue. On devrait néanmoins aboutir à un accord raisonnable : l'Europe comme le Royaume-Uni auraient tout à perdre d'un mauvais accord en la matière. Je ne crois pas que la collaboration antiterroriste prendra fin. Le système relèvera du droit international et sera donc plus compliqué et moins performant. La collaboration opérationnelle sera affectée dans une moindre mesure, il y aura toujours des officiers de liaison. Pour les avancées législatives, le Royaume-Uni sera en revanche exclu du club.
Le Royaume-Uni est-il moteur de la lutte contre le terrorisme en Europe ?
Les Britanniques sont plutôt pro-européens en la matière, ce qui est assez paradoxal. Le patron d'Europol, Rob Wainwright, est d'ailleurs un Britannique. Londres a été très actif dans le développement de l'organisation depuis les attentats de 2005. Sur le renseignement et la lutte contre le terrorisme, les Britanniques collaborent surtout avec les Etats-Unis, puisqu'ils font partie des Five Eyes [les cinq plus proches partenaires avec qui Washington partage des renseignements]. Les rapports institutionnels de la France avec les Etats-Unis ne sont pas aussi étroits.