Menu
Libération
Analyse

Climat : les ONG demandent à Macron d'être «volontariste» face à Trump

A la veille de la première rencontre entre les présidents français et américain, et à deux jours d'un sommet du G7 où planera le spectre d'un éventuel retrait des Etats-Unis de l'accord de Paris, les associations en appellent au nouveau locataire de l'Elysée.
Manifestation contre le pipeline Dakota Access, le 1er décembre. Le projet, un temps suspendu, a été relancé par Donald Trump. (Photo Stephanie Keith.Reuters)
publié le 24 mai 2017 à 18h52

Emmanuel Macron fera-t-il preuve de volontarisme pour défendre l'accord de Paris sur le climat face à un Donald Trump climatosceptique et imprévisible ? C'est ce qu'espèrent plusieurs ONG environnementales, qui ont interpellé mercredi le nouveau président en ce sens, à la veille de la première rencontre entre les deux chefs d'Etat en marge du sommet de l'Otan à Bruxelles et à deux jours du sommet du G7 de Taormina, en Sicile. Une séquence cruciale où le climat risque d'être un sujet explosif. Donald Trump, qui avait promis alors qu'il était candidat d'«annuler» l'accord conclu fin 2015 dans la capitale française par plus de 190 pays, a repoussé sa décision sur une éventuelle sortie des Etats-Unis de ce texte emblématique à son retour du sommet. Mercredi après-midi, le secrétaire d'Etat, Rex Tillerson, ancien PDG du géant pétrolier ExxonMobil (et favorable à ce que les Etats-Unis restent dans l'accord de Paris), confirmait que Donald Trump n'a pas encore pris sa décision sur le sujet et ne s'en occupera qu'à son retour à Washington. De quoi compliquer la tâche des négociateurs et dirigeants présents au G7 et redoubler les attentes des ONG envers eux.

«L’heure n’est pas aux atermoiements»

«Pendant la campagne, Emmanuel Macron a plusieurs fois fait part de sa détermination à sauvegarder l'accord de Paris et à le mettre en œuvre, il en a parlé également lors de ses premiers discours après son élection, rappelle Célia Gautier, du Réseau Action Climat (RAC) France. C'est le moment de le prouver et de montrer qu'effectivement, la France est bien la gardienne de l'accord de Paris, à la fois sur le plan national dans l'application de ses politiques climatiques, et à l'international avec la création d'une coalition de pays qui restent déterminés et volontaristes sur la lutte contre le changement climatique, en réponse à Donald Trump. L'heure n'est pas aux atermoiements, nous attendons qu'Emmanuel Macron fasse preuve de volontarisme dès cette semaine». La jeune femme a rencontré les conseillers diplomatiques de l'Elysée mercredi matin pour appeler Emmanuel Macron «à l'exemplarité, à la fermeté et à la solidarité». Elle était accompagnée des représentants de plusieurs autres associations françaises (350.org, Alternatiba, les Amis de la Terre, Attac France et Oxfam France) et du chef amérindien Juan Mancias, présent à Paris pour évoquer la lutte de sa tribu Esto'k Gna contre les projets d'infrastructures fossiles au Texas. La délégation a aussi remis une lettre adressée au président (A lire ici).

«Faire preuve de volontarisme, ce n'est pas seulement faire de grands discours, il faut surtout faire preuve d'exemplarité, insiste Nicolas Haeringer, de 350.org. Au niveau national, cela veut dire geler le développement de tout nouveau projet "fossiles", à quelque niveau que ce soit, de l'extraction au transport jusqu'à la combustion. Donc pas de forages, pas de terminaux gaziers ou méthaniers, pas d'oléoducs ni de centrales.» Les ONG ont donc demandé à Emmanuel Macron d'élargir les engagements pris par Ségolène Royal «dans le temps et dans l'espace». L'ancienne ministre de l'Environnement s'était engagée à un moratoire sur les forages d'hydrocarbures en mer, en Méditerranée et sur la façade Atlantique de la métropole. Les ONG demandent un «gel définitif» et une extension de la mesure à l'ensemble du territoire français, y compris en Outre-mer (et donc en Guyane) ou dans les zones terrestres de la métropole, «car il y a des forages exploratoires en cours en Lorraine», illustre Nicolas Haeringer. Elles souhaitent aussi une «cohérence avec les politiques d'importation» et donc demandent à la France de ne plus importer d'hydrocarbures, a fortiori d'hydrocarbures non conventionnels comme le gaz de schiste en provenance des Etats-Unis.

Violations des droits humains

Pour Lucie Pinson, des Amis de la Terre, faire preuve de volontarisme implique pour Emmanuel Macron d'être «très ferme» pour faire respecter les engagements pris à Paris en 2015, à savoir limiter le réchauffement de la planète à 2°C, voire 1,5°C, par rapport à l'ère pré-industrielle, ce qui «ne pourra pas être fait sans un arrêt de la construction de nouvelles infrastructures» d'énergies fossiles. «Or il ne s'agit pas seulement de climat, mais également de respect des droits humains, notamment aux Etats-Unis où les banques françaises se sont illustrées dans un projet, le Dakota Access Pipeline, qui est non seulement incompatible avec l'accord de Paris mais a aussi abouti à de graves violations des droits humains. Il est aussi important que les financements français, à la fois publics et privés, n'aillent pas à la construction de nouvelles infrastructures qui vont nous enfermer dans une trajectoire très carbonée.»

Lors de l'entretien avec les conseillers de l'Elysée, mercredi matin, les ONG ont aussi évoqué la question du Ceta (Comprehensive Economic and Trade Agreement), l'accord de libre-échange entre l'Europe et le Canada, dont elles ne veulent pas. «Il est incompatible avec l'accord de Paris, souligne Gilles Sabatier, d'Attac France. Car s'il est mis en œuvre, on peut craindre une augmentation des émissions de gaz à effet de serre. Il promeut la libéralisation du secteur de l'énergie, c'est-à-dire qu'on pourra importer du pétrole issu des sables bitumineux venant de l'Alberta».

La Taxe sur les transactions financières reportée à la demande de la France

Les associations demandent aussi à Emmanuel Macron d'envoyer «un message de solidarité» vis-à-vis des pays en développement qui ont besoin des financements promis à la COP21 pour pouvoir mettre en place leur transition énergétique et s'adapter aux impacts du changement climatique, dont ils sont pourtant les moins responsables. «En Afrique de l'Est, en ce moment, il y a une crise alimentaire dramatique, près de 13 millions de personnes sont dans une situation désespérée de famine, et on sait que cette sécheresse est exacerbée par le changement climatique. Pour ces populations vulnérables, défendre l'accord de Paris est essentiel», rappelle Armelle Le Comte, d'Oxfam.

Les ONG pressent donc Macron de s'engager sur la Taxe sur les transactions financières européennes (TTF), qui permettrait de dégager 22 milliards d'euros par an, et dont une partie serait destinée à la lutte contre le réchauffement climatique dans les pays du sud. Or, déplore Armelle Le Comte, «lundi et mardi, les ministres de l'économie européens devaient discuter enfin de la mise en œuvre de la TTF, après six ans de négociations. Mais malheureusement, à la demande expresse de la France, cette discussion a une nouvelle fois été reportée à plus tard. C'est un scandale. C'est un signal extrêmement mauvais qui a été envoyé. Il faut absolument qu'Emmanuel Macron et Bruno Le Maire corrigent le tir avant l'été, pour mettre enfin en œuvre cette taxe qui permettrait de pérenniser des financements et de rassurer les pays en développement».

De son côté, le WWF a qualifié le G7 de ce week-end de «premier test climatique pour Emmanuel Macron», et appelé ce dernier, dans un communiqué, «à se saisir de ce premier grand rendez-vous international pour honorer ses engagements et positionner la France comme un acteur incontournable de la lutte mondiale contre le changement climatique». Ce qui passerait entre autres par la formation d'une «coalition de l'ambition», avec l'Allemagne et la Chine notamment.

A l'Elysée, on se dit tout à fait conscient des enjeux. Le sujet du climat «sera le plus compliqué» lors du G7 et risque d'empêcher d'aboutir à un communiqué final commun, a admis la présidence mercredi. Pour celle-ci, qui veut «coordonner ses positions avec ses alliés européens encore plus que d'habitude», «l'enjeu est d'être le plus ambitieux possible sur la mise en œuvre des accords de Paris», rapporte l'AFP.