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Libération
Pacte faustien

Les conservateurs suédois veulent s'allier à l'extrême droite

Le parti des Modérés tend la main au parti nationaliste pour tenter de renverser le gouvernement social-démocrate lors des prochaines législatives. Le royaume frise la crise politique.
Jimmie Akesson, leader du parti d'extrême droite les Démocrates, en 2014. (Photo Anders Wiklund. TT. AFP)
publié le 26 mai 2017 à 13h09

Rien n’égale le bonheur du Suédois lorsqu’arrivent enfin les beaux jours. Aux premiers rayons de soleil, on l’aperçoit à chaque coin de rue en short, glace à la main, la mine réjouie. Mais malgré la liesse ambiante, personne ne semble aussi épanoui ces dernières semaines que Jimmie Akesson, le leader des Démocrates de Suède (SD, extrême droite), qui ne compte plus ses victoires.

Pour la première fois, son parti nationaliste a été désigné cette semaine par le Parti social-démocrate au pouvoir (en coalition avec les écologistes) comme l’adversaire principal en vue des élections législatives de l’année prochaine. La place était jusque-là réservée au parti conservateur des Modérés, mais ce dernier a perdu dix points dans les sondages depuis l’année dernière, et notamment depuis l’appel du pied de sa présidente… aux Démocrates de Suède.

Ce n'est pas la seule raison pour le parti populiste de se réjouir. Le sourire de Jimmie Akesson était peut-être le plus large de Suède lorsqu'il a annoncé la semaine dernière, toutes dents dehors, la défection d'un député des Modérés, Patrick Reslow, au profit de son parti. La conquête est savoureuse : un député qui change de formation en cours de mandat, l'événement est rare (en Suède). «C'est un indicateur de la ligne politique dans laquelle les Modérés se sont embarqués, qui normalise le SD encore davantage», a réagi Stefan Löfven, le Premier ministre suédois.

Une stratégie perdante

En effet, les Démocrates de Suède profitent depuis quelques mois d’un changement de direction des Modérés. Anna Kinberg Batra, la présidente du parti conservateur, a proposé en janvier à l’extrême droite de soutenir la droite afin de présenter au Parlement un budget d’opposition commun. Une telle coopération entre l’Alliance de droite - libéraux, centristes, chrétiens-démocrates et conservateurs - et le SD pourrait renverser le gouvernement suédois, numériquement minoritaire au Parlement. L’idée avait jusque-là été écartée par l’Alliance, de peur de faire le lit du parti nationaliste. Jusqu’en janvier dernier.

«Les Modérés se montrent enfin sous leur vrai jour», assure Maria Hasselqvist, qui travaille pour un théâtre de Stockholm et s'apprête à partir en week-end avec ses deux filles. Elle se dit très inquiète de la tournure des événements et doute de l'efficacité de la politique des Modérés. «C'est une décision très populiste, et qui ne va pas dans le bon sens.» Le parti conservateur dégringole en effet depuis le début de l'année dans les sondages, passant de 23% à 15%, leur plus bas niveau depuis quinze ans. Les Modérés se retrouvent donc en troisième place derrière le SD, qui recueille 19% des intentions de vote, à un peu plus d'un an des élections.

Six mois avant cette soudaine ouverture à l'extrême droite, Anna Kinberg Batra qualifiait pourtant encore le SD de «raciste». Elle aurait, depuis, succombé aux pressions internes et électoralistes, selon le politologue Jonas Hinnfors. Depuis la défaite de l'Alliance aux élections de 2014 en effet, une large frange des Modérés «bouillonne de frustration» et rejette la faute de leur échec électoral sur la ligne anti-SD du parti, explique-t-il. Un sondage récent montre d'ailleurs que près d'un électeur des Modérés sur cinq souhaite un rapprochement avec la formation d'extrême-droite. Anna Kinberg Batra aurait donc voulu apaiser ces tensions, tout en espérant récupérer les voix du parti nationaliste, sans grand succès pour l'instant.

Une droite fracturée

Cette ouverture à l'extrême droite n'a pas non plus empêché le départ du député transfuge Patrick Reslow cette semaine. Les défections vont d'ailleurs dans les deux sens : l'ancien élu des Modérés Simon Härenstam a, lui aussi, quitté le parti en mars, mais en signe de protestation contre la main tendue de Batra aux nationalistes. «Elle l'a fait uniquement dans le but d'accéder au pouvoir, peu importe comment», accuse le député, ex-leader de la branche régionale (pour l'île de Gotland dans la mer Baltique) du parti conservateur. «C'est irresponsable, et c'est naïf, regrette-t-il. En agissant ainsi, Anna Kinberg Batra légitime le SD, suggérant qu'il est un parti comme les autres.»

Parmi les électeurs des Modérés déçus, Karolina Syczewska, maîtresse d'école à Stockholm, qui surveille de loin ses enfants dans une aire de jeux de la capitale. «J'ai voté pour eux dans le passé, je ne le referai plus, assure-t-elle. Je vais peut-être voter pour le Parti du centre.» Elle envisage même un rapprochement entre le centre et les sociaux-démocrates, pour contrer une nouvelle droite trop extrême à son goût. Son sambo, mot suédois pour concubin, n'a jamais voté pour les Modérés. Il ne s'étonne pas de leur rapprochement idéologique avec les SD : «Je les ai toujours considérés trop proches de l'extrême droite.»

Pour l'instant, les centristes et les libéraux refusent, eux, de donner aux Démocrates de Suède l'occasion d'être les acteurs principaux d'un revirement politique. «Nous ne pensons pas que le SD soutiendra un gouvernement d'alliance sans contreparties, et nous pensons que ces contreparties seront forcément de mauvaises décisions», explique le secrétaire général du Parti du centre, Michael Arthursson. Cette position ferme profite à la formation centriste, qui atteint 13% dans les sondages, son plus haut niveau depuis 1990.

La fin justifie les moyens

Certains, au sein des élus conservateurs, se satisfont cependant de cette nouvelle politique. «Je dois au peuple suédois de faire tout ce que je peux pour faire gagner la politique des Modérés au Parlement», explique Cecilia Magnusson, élue des Modérés à Göteborg, qui soutient Anna Kinberg Batra. Peu importe, selon elle, les penchants des uns ou des autres, tant qu'ils apportent leur soutien à cette cause : «Nous parlons aux communistes, nous parlons aux racistes.»

Attablé en terrasse avec sa femme, Peter Runsten considère également qu'il ne faut pas exclure le SD de la politique suédoise. «Les Démocrates de Suède forment un des plus grands partis suédois, il faut au moins pouvoir discuter avec eux», assure-t-il. Sa femme Margareta acquiesce, bien qu'elle se dise opposée à la politique du SD : «Les politiciens veulent toujours leur fermer la porte.»

Selon la députée Cecilia Magnusson, aucune compensation ne serait offerte au parti populiste pour leur vote au Parlement. «Il est probable que le SD vote pour un budget commun sans trop demander en échange cette fois-ci, mais ce serait la dernière fois», analyse prudemment Jonas Hinnfors, qui souligne l'imprévisibilité des Démocrates de Suède. «En votant, ils enclencheraient une crise dont ils seraient les premiers bénéficiaires.» Entre une Alliance fracturée et un parti nationaliste au comportement souvent déroutant, le royaume avance désormais en eaux troubles. Même si la manœuvre des Modérés pour renverser le gouvernement fonctionne, explique Johan Hinnfors, il n'est pas aisé d'imaginer la suite. D'où la difficulté, selon lui, à s'accorder à droite: «Il n'y a pas de plan B.»