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En Corée du Sud, la politique «du rayon de soleil» menacée d’éclipse

L’agressivité de la Corée du Nord, qui multiplie les tirs de missiles ces dernières semaines, met à mal le projet de Séoul de relancer les relations intercoréennes.
Le président sud-coréen Moon Jae-in, le 10 mai à Séoul. (Photo Jung Yeon-je. AFP)
publié le 1er juin 2017 à 16h09

Trois tirs de missiles en trois semaines, la mine réjouie du leader nord-coréen Kim Jong-un assistant au spectacle et un nouvel écueil pour la politique du «rayon de soleil» («sunshine policy») si chère au nouveau président sud-coréen Moon Jae-in. Cette initiative, portée à bout de bras par l’ancien président de la République de Corée Kim Dae-jung (1998-2003), vise à relancer et intensifier les échanges intercoréens pour, in fine, réunifier la péninsule. Malmenée par les administrations conservatrices de Lee Myung-bak (2008-2013) et Park Geun-hye (2013-2017), la «sunshine policy», l’une des promesses de campagne du nouveau chef de l’Etat, pourrait bien renaître de ses cendres.

Rompre avec la politique de fermeté

Moon Jae-in, actuellement en apesanteur avec 90% d’opinions favorables d’après un récent sondage Gallup Korea, a notamment séduit l’électorat sud-coréen en s’engageant à renouer le dialogue avec Pyongyang. Il entend ainsi rompre avec la politique de fermeté de ses deux prédécesseurs, à travers la normalisation des échanges Nord-Sud. Les chantiers sont nombreux, et Moon Jae-in s’y consacre tous azimuts depuis le début de son mandat, le 10 mai. Sur le plan militaire, il souhaite rouvrir les lignes de télécommunication avec Pyongyang. Ce canal officiel de communication, situé au village de la trêve de Panmunjeom, avait été inauguré en 2005 avant d’être rompu en 2016. Son but était de prévenir d’éventuels accrochages à proximité de la Northern Limit Line (NLL), la frontière maritime intercoréenne. L’opportunité d’une reprise du dialogue entre les armées des deux côtés semble donc se dessiner.

D'après Yang Moo-jin, professeur à l'Université des études nord-coréennes (UNKS), c'est une initiative nécessaire pour une «péninsule coréenne pacifique». Il préconise également l'importance d'une approche stratégique consistant à poursuivre les discussions et les échanges non politiques, nonobstant les bravades récurrentes de Pyongyang. La semaine dernière, le ministère sud-coréen de la Réunification a d'ailleurs exprimé son souhait de reprendre les échanges civils de manière souple. Tout en alertant du danger que représenterait un arrêt total des contacts entre les deux voisins pour la sécurité sur la péninsule, son porte-parole a indiqué que ce type de programme pourrait bien être remis en douceur sur les rails.

Coopération humanitaire

Il n’aura ensuite fallu que quelques jours pour que Moon Jae-in, sous l’impulsion de l’ONG Korean Sharing Movement, donne son premier feu vert à un contact civil avec la Corée du Nord dans le cadre d’un plan d’aide conjoint contre le paludisme. L’an passé, sous le gouvernement de l’ex-présidente déchue Park Geun-hye, une seule livraison de médicaments antituberculeux avait été autorisée avant la suspension totale des visites croisées entre les deux pays. Dans le sillage de ce premier pas vers la réconciliation, de nombreux groupes civiques ont exposé leur projet humanitaire destiné aux Nord-Coréens. En parallèle, diverses initiatives socioculturelles commencent à germer. La fédération sud-coréenne de taekwondo a invité une délégation nord-coréenne aux championnats du monde, à la fin du mois. Une première en dix ans. Ce type d’autorisation est sans aucun doute précautionneusement soupesé par Séoul, le risque étant d’altérer la portée des sanctions et des pressions internationales contre Pyongyang. Ancien avocat spécialiste des droits de l’homme, Moon Jae-in a fait de l’amélioration des droits humains en Corée du Nord l’un de ses principaux objectifs. Pour commencer, il veut relancer l’activité de la Commission nationale des droits de l’Homme de Corée (NHRCK), créée en 2001 sous la présidence de Kim Dae-jung, et dont l’influence a été réduite dès 2008, pendant que les conservateurs étaient au pouvoir.

Jadis pierre angulaire des relations intercoréennes, le parc industriel mixte de Kaesong, situé au nord du 38e parallèle, est fermé depuis février 2016, à la suite du quatrième essai nucléaire nord-coréen. Peu avant son élection, le candidat Moon Jae-in avait promis la réouverture de ce site créé en 2002, qui abritait 120 entreprises sud-coréennes employant plus de 50 000 Nord-Coréens. Là encore, au-delà du simple réchauffement des relations Séoul-Pyongyang, un dilemme cornélien s'impose pour Moon : comment relancer les activités intercoréennes de Kaesong, qui constituent une véritable manne en matière de taxes, d'emplois et de devises étrangères pour les deux pays, sans aller à l'encontre des sanctions onusiennes, dont l'objectif premier est d'empêcher l'entrée d'argent dans les caisses du régime de Kim Jong-un afin d'endiguer le financement de ses programmes nucléaire et balistique ? Une question épineuse à laquelle l'exécutif ne semble pas avoir encore trouvé la réponse idoine.

Inconfortable palinodie diplomatique

Les entraves à la relance de la politique du «rayon de soleil» sont donc nombreuses pour Moon Jae-in qui devrait se résoudre à revoir ses objectifs à la baisse. Séoul se joint au concert de condamnations internationales à chaque nouvelle bravade de Pyongyang, tout en cherchant à renouer le contact intercoréen. Le 30 mai, lors d’un entretien téléphonique avec le Premier ministre japonais Shinzo Abe, le chef de l’Etat sud-coréen a affirmé être d’accord avec lui sur le fait que «le moment n’est pas de dialoguer avec la Corée du Nord mais celui d’accroître les sanctions et les pressions». Contre toute attente, Moon Jae-in avait même concédé, dans une interview donnée avant son élection au Washington Post, être «sur la même longueur d’onde que Donald Trump» concernant la nécessité d’un changement de politique à l’égard de Kim Jong-un. Moon Jae-in paraît donc contraint à une inconfortable palinodie diplomatique afin de laisser la porte ouverte à un rapprochement avec son turbulent voisin nord-coréen tout en s’alignant sur les sanctions internationales contre ce dernier. Une posture délicate qui pourrait bientôt être ébranlée par un probable sixième test nucléaire nord-coréen.