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Libération
Autoritarisme

Le gouvernement hongrois souffle le chaud et le froid sur l’université de George Soros

Fondé en 1991 par le milliardaire américain, bête noire du Premier ministre nationaliste Viktor Orbán, le campus anglophone, sur lequel le gouvernement n’a aucune mainmise, sera privé de licence s’il n’ouvre pas un site dans son pays d’origine.
Une manifestation d'étudiants de l'Université d'Europe centrale devant le siège du Fidesz, le parti nationaliste de Viktor Orbán. (Photo Attila Kisbenedek. AFP)
publié le 2 juin 2017 à 17h54

Un léger vent d'optimisme souffle sur le palais XVIIIsiècle qui abrite l'Université d'Europe centrale (CEU) en plein cœur de Budapest. «La CEU fait sa rentrée à Budapest l'année prochaine! Et nous espérons qu'une solution rapide va être trouvée pour que nous puissions rester en Hongrie pendant des décennies» affirme son recteur, Michael Ignatieff. Menacée par une loi (promulguée le 10 avril) visant à la chasser du pays, la prestigieuse institution anglophone fondée à Budapest par le milliardaire américano-hongrois George Soros était en sursis. Mais l'annonce, le 30 mai, de négociations prochaines entre le représentant du gouvernement hongrois, Kristof Altusz, et Andrew Cuomo, le gouverneur de l'Etat de New York (autorité de tutelle de CEU), donne une lueur d'espoir.

Viktor Orbán, Premier ministre nationaliste partisan d'un Etat «illibéral» (reposant sur l'ordre, le contrôle de la presse, la famille, la religion…), semble faire marche arrière. Il aura fallu des manifestations, des protestations de 900 universitaires du monde entier, dont dix-huit Prix Nobel, puis un coup de sang de la Commission européenne et du Parlement européen (qui ont respectivement lancé une procédure d'infraction et menacé la Hongrie de sanctions) pour qu'Orbán accepte de négocier. Mais est-il prêt à laisser vivre CEU ? Ou feint-il d'entamer des discussions pour mieux les faire traîner, et pousser, in fine, l'université à partir d'elle-même ?

«On apprend à remettre les idées en cause»

Dans l'édifice qui jouxte le palais, étudiants et professeurs n'ont pas de réponses tranchées. Car le gouvernement a aussi annoncé ne pas vouloir modifier la loi du 10 avril sur la réforme de l'enseignement supérieur. «Une loi qui nous impose d'ouvrir un campus aux Etats-Unis, pays d'origine de CEU, en janvier 2018. Autant dire que la loi nous demande quelque chose d'impossible, estime Adam Zawadowski, professeur à la CEU et Budapestois. Ici, on forme des esprits critiques. On apprend à remettre les idées en cause.»

Dans la classe d'Adam Zawadowski, pas de tableau noir, mais un smartboard qui enregistre les notes du prof, et les envoie électroniquement aux étudiants. Des outils high-tech pour une université d'excellence, classée parmi les 50 meilleures au monde. Fondée après la chute du communisme pour former les jeunes aux sciences humaines et sociales, des disciplines peu développées dans le bloc de l'Est, CEU délivre des diplômes reconnus en Hongrie et aux Etats-Unis et accueille les étudiants les plus brillants du monde entier : Hongrie, Inde, Nigeria, Etats-Unis… Avec un idéal progressiste et humaniste.

Un «affreux milliardaire sioniste» selon les médias pro-Orbán

C'est parce qu'elle est issue de la minorité rom de Turquie que Gamze Bulbul, 25 ans, a reçu une bourse pour une année préparatoire à un master en sociologie à CEU. «Je ne serais pas étonnée si le gouvernement hongrois fermait cette université», redoute la jeune femme. Si l'université était forcée de plier bagage, elle pourrait s'installer à Vienne ou à Berlin. «Si elle devait s'installer dans une ville chère, CEU ne pourrait pas m'octroyer une bourse», s'inquiète Valentine Njogu, une étudiante kényane qui souhaite s'inscrire en doctorat. Le départ de CEU toucherait avant tout les Hongrois qui représentent 20 % des 1 500 étudiants de l'université. «Grâce à cette université, j'ai fait de la recherche en Hongrie sans m'expatrier aux Etats-Unis», observe Tamas Peragovics, doctorant en science politique. De nombreuses facultés magyares ont des partenariats avec l'institution américaine. Professeure à l'université de Szeged dans le sud de la Hongrie, Erzsébet Barat vient enseigner les gender studies (études de genre) deux jours par semaine à CEU. «Mes étudiants de Szeged participent à des ateliers de la CEU. Si l'université quitte le pays, ce sera une immense perte», estime-t-elle.

Les médias progouvernementaux poursuivent leur campagne anti-Soros. «Il aurait eu l'intention de tuer sa propre mère», n'hésite pas à affirmer une chaîne privée quand une autre, publique, parle d'un «affreux milliardaire sioniste». En attendant, l'affaire CEU a provoqué des tensions au sein du Fidesz, le parti d'Orbán. Il y a quelques mois, 20 % de l'électorat éduqué soutenait le Fidesz. Ils ne sont plus que 10 %. Le parti a compensé cette perte de popularité en attirant des électeurs du Jobbik (extrême droite). Chasser CEU du pays pour continuer à récolter des voix extrémistes conforterait Orbán dans l'assurance de remporter les législatives l'an prochain. Mais cela accentuerait le conflit avec Bruxelles et permettrait à l'opposition de brandir le risque d'une sortie de l'Union européenne. Or la majorité des Hongrois (67%) restent pro-européens.