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CLIMAT

Vu du Kenya : «Des années de négociations foutues en l'air»

Au Kenya, l'un des pays les plus touchés par les changements climatiques, l'inquiétude plane après le retrait des Etats-Unis de l'accord de Paris. Mais pas question de baisser les bras.
Sécheresse dans les environs du lac Turkana, au Kenya, en mars. (Photo Tony Karumba. AFP)
publié le 2 juin 2017 à 14h23

Ce vendredi matin, les employés du siège de l'agence environnementale des Nations unies à Nairobi font grise mine. Après l'annonce du retrait des Etats-Unis de l'accord de Paris sur le climat, ils ne cachent pas leur déception : «Ce sont des années de négociations foutues en l'air. Depuis 1995 et le protocole de Kyoto, ils pourrissent systématiquement le travail fait sur le climat», témoigne l'un d'entre-eux. Le chef de l'ONU Environnement, Erik Solheim, s'est fendu d'un communiqué un peu plus diplomate. «La science relative au changement climatique est parfaitement claire : nous avons besoin de plus d'action, pas moins. C'est un défi mondial. Chaque nation a la responsabilité d'agir et d'agir maintenant. La décision des Etats-Unis de quitter l'accord de Paris ne permet en aucun cas de mettre fin à cet effort imparable.»

Si elle fait l'effet d'une douche froide, le retrait de la bataille climatique de la Maison Blanche était très largement anticipée depuis l'élection de Donald Trump. Un haut responsable des Nations unies, très actif sur les questions climatiques, explique sous couvert d'anonymat : «C'est l'occasion pour les autres pays de s'unir. Je pense en particulier à l'Afrique de l'Est qui est très touchée par le changement climatique. Au Kenya ou en Somalie par exemple, on en voit déjà les effets. C'est le moment ou jamais pour ces pays de se lever et faire entendre leur voix dans ce combat.»

Le président Kenyan, Uhuru Kenyatta, n’a pas encore réagi à la décision des Etats-Unis, mais le pays scrute à la loupe le travail fait de par le monde pour stopper le réchauffement. En 2015, le président avait rappelé lors de la COP21 que malgré le très faible taux d’émissions de gaz à effet de serre du Kenya, il était pleinement conscient de l’impact du dérèglement climatique sur le développement de la région. Depuis plusieurs années, il tente de promouvoir son pays comme un leader de la lutte pour la protection de l’environnement : ferme éolienne, centrales géothermiques, interdiction totale des sacs en plastique…

Appropriation

Dans les locaux de l'agence météorologique nationale, on n'imagine pas vraiment la portée de la décision de Donald Trump, un choix fait dans un lointain bureau à Washington, par des personnes peu au fait des réalités du terrain. Ici, par contre, l'impact du changement climatique est observé tous les jours. «On voit de plus en plus fréquemment des phénomènes violents se succéder, comme El Nino et La Nina», rappelle le prévisionniste James Mohindi. En résulte une alternance mortelle de périodes de sécheresse extrême et d'épisodes de pluies torrentielles. «Plus la planète va se réchauffer, et plus on verra des épisodes météorologiques dangereux.»

Pourtant, ici aussi le bon sens côtoie des décisions gouvernementales pour le moins contradictoires. Le gouvernement qui se plaît tant à mettre en avant ses efforts écologiques donne son aval à la construction d’une centrale a charbon dans l’archipel de Lamu, joyaux naturel situé sur la côte du pays, dans l'océan Indien. Comme aux Etats-Unis, les intérêts de certains prennent parfois le pas sur la bonne santé de la planète.

Difficile pour autant d'entrer en confrontation, selon le responsable onusien : «On ne veut pas entrer dans la dispute.» La prise de conscience doit se faire à l'intérieur même des pays. «La protection de l'environnement ne peut pas fonctionner si c'est une obligation décrétée par la communauté internationale. La société civile, les politiques et les entreprises doivent s'approprier ce thème.» Unique solution selon lui pour tenir les objectifs de la COP et éviter de nombreuses catastrophes.